Progressant à marche forcée, la caravane atteignit bientôt Damas. Elle fit halte devant les remparts qui ceinturaient la ville. Un messager fut envoyé au palais du Calife, pour recevoir les instructions de Yazid. Celui-ci avait été averti par Obeidoullah des incidents qui s'étaient produits à Koufa. Il avait juré prudent de ne pas dévoiler l'identité des captifs, et avait fait répandre la rumeur qu'un prince arabe s'était révolté contre son autorité, qu'il avait affronté son armée invincible et avait été défait, avec ses quelques partisans.
Un crieur public confirma officiellement cette nouvelle, précisant que pour
servir d'exemple les têtes des coupables avaient été tranchées et apportées
devant le Calife, en même temps que la famille du prince félon. La journée
d'aujourd'hui était proclamée jour de fête, pour célébrer la victoire du
Commandeur des Croyants.
On décora la ville à la hâte, on prépara le festin offert au peuple, et tous les courtisans et les ambassadeurs en poste à Damas furent convoqués à la grande réception qui devait avoir lieu le soir même au palais. Pendant que les préparatifs battaient leur plein. les captifs attendaient, en plein soleil.
Des groupes de curieux approchaient pour apercevoir les prisonniers qu'on menait au Calife. Le spectacle de ces femmes, et surtout des enfants, à moitié morts de faim et de soif, maigres à faire peur, enchaînés, couverts de poussière et de sang séché émut plus d'un témoin.
Quelques-uns des curieux lancèrent aux enfants
des dattes sèches, qu'on utilisait alors pour faire l'aumône.
Les malheureux enfants affamés se saisirent des dattes et s'apprêtaient à
soulager leur faim, mais Zaynab et les autres femmes leur interdirent d'en
manger une seule, et leur ordonnèrent de les renvoyer à ceux qui les lançaient.
Zaynab, le visage toujours caché derrière ses cheveux, prit la parole:
- Je vous remercie de votre sollicitude envers nos enfants affamés. Mais nous
sommes la Famille du Prophète, et l'Envoyé de Dieu nous a interdit de manger les
aumônes. En aucun cas il ne nous est possible de transgresser ses ordres.
Les gens étaient abasourdis d'entendre cette réponse. Ils ne savaient ce qui
était le plus étonnant, du refus de laisser manger les enfants ou du fait que
des membres de la Famille du Prophète soient captifs et dans un tel état. La
rumeur s'enfla en ville, les interrogations et les suppositions allaient bon
train.