1-L’établissement de l’Imam Ali (Psl) à Kûfa :
Quinze jours après la fin de la bataille du chameau, l'Imam Ali (Psl) ayant déjà
nommé ‘Abdullah Ibn Abbâs gouverneur de Basra, mit en mouvement ses troupes en
direction de Kûfa. Le Calife avait décidé de faire de cette ville le siège de
son gouvernement. Au moins deux raisons militaient en faveur du choix de Kûfa.
La toute première de ces raisons était d’ordre stratégique. Kûfa se trouvait au
centre de l’Empire, à égale distance des principales régions composant l’Arabie
ancienne. Ce qui réduisait de beaucoup les charges suscitées par les
déplacements de l’Armée de la Umma et augmentait sa mobilité.
La deuxième raison était l’avantage numérique de la population de Kûfa par
rapport à celle de Médine mais aussi son plus grand attachement à l’Imam Ali. A
Médine l’Imam n’avait pas réussi à lever une armée de plus de neuf cents hommes
alors qu’à Kûfa plus de neuf mille hommes s’alignèrent derrière lui.
Cette ville était entièrement acquise à l’Imam Ali et à ses partisans.
2-Les objectifs de Mu’âwiyah en Syrie :
Profitant de l’assassinat de Usmân, Mu’âwiyah avait monté toute une stratégie de
propagande contre les assassins du Calife pour, en réalité, renforcer son
pouvoir et satisfaire ses ambitions indépendantistes. Son refus de voler au
secours du Calife Usmân assiégé participait de cette visée personnelle de
Mu’âwiyah.
Malheureusement ses partisans ne parvenaient pas à voir cette réalité qui
crevait pourtant les yeux. Toutefois, à la décharge du grand nombre d’Omeyyades
qui avaient quittaient Médine pour se réfugier en Syrie et des Syriens soutenant
Mu’âwiyah, il existait trois raisons influentes, quoiqu'insuffisantes, qui les
rendaient aveugles à ce point.
D’abord, les Omeyyades – à l’instar des tribus arabes de l’époque –
tenaient coûte que coûte à venger le sang de leur frère Usmân. Cette tradition
de vendetta était fortement établie en Arabie et elle se transmettait de
générations en générations. Or Usmân avait été tué à Médine par toute une
population. Donc n’importe quel bouc émissaire qu’on leur désignait, surtout
venant de Médine, devenait l’ennemi à abattre. En particulier le remplaçant du
Calife qui devenait ainsi l’assassin virtuel désigné bien que tout le monde sût
le rôle de conseil, de médiation pour la paix et de protection que joua Ali
(Psl) pour Usmân avant et pendant toute la durée de ses difficiles négociations
avec les révoltés.
Ensuite, une campagne insidieuse était menée par Mu’âwiyah en vue de faire
monter la haine envers les assassins de Usmân. Suivant en cela son Conseiller
Amr Ibn al-Âç, Mu’âwiyah avait fait accrocher sur la chaire de la Mosquée de
Damas la chemise tâchée de sang que Usmân portait lors de son assassinat ainsi
que les doigts estropiés de sa femme Naelah.
La vue de tels objets pendant de
longues semaines ne cessait, comme l’espéraient les exposants, de faire couler
les larmes des Syriens et d’accroître leur désir de vengeance contre les auteurs
d’un tel acte.
Enfin – c’est bien la dernière raison que nous citerons mais qui n’en est pas
autant la moindre – Mu’âwiyah avait réussi à maîtriser ses principaux notables
par la corruption devenue notoire dans son entourage. Se soumettre à lui était
devenu source d’un enrichissement rapide et illicite. Une phrase fort célèbre à
cette époque résumait assez bien cet intérêt que certains trouvaient aux côtés
de Mu’âwiyah :
« Il vaut mieux être derrière l’Imam Ali pour la prière
et à la table de Mu’âwiyah à l’heure du repas »
3-Le recours aux moyens pacifiques par Ali (Psl) en
vue de raisonner Mu’âwiyah :
C’est fort du soutien de son armée et de ses notables et aveuglé par ses
ambitions et convictions personnelles que Mu’âwiyah avait retenu pendant
plusieurs semaines le messager que le Calife Ali (Psl) lui avait envoyé dés son
arrivée au Califat, pour lui demander de lui faire allégeance. Il tenait à faire
de lui un témoin du désir de vengeance qui animait son armée. Ensuite il le fit
retourner à Médine en compagnie de son propre messager.
Lorsqu'Ali (Psl) ouvrit la lettre cachetée de Mu’âwiyah, il découvrit un contenu
tout blanc. Le messager, invité à donner la signification d’un tel contenu,
expliqua :
« Sache donc que j’ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers
pleurant le meurtre de Usmân sous sa chemise tâchée de sang, exposée à côté de
la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour
l’assassinat du Calife. »
Un exposé si insolent souleva l’ire des Compagnons du Prophète (Pslf) au point
qu’ils faillirent commettre l’irréparable sur le messager de Mu’âwiyah n’eût été
l’intervention d'Ali (Psl). Le coursier, ravi devant une telle sagesse doublée
d’une si grande bonté, s’amenda puis jura de rester fidèle à Ali (Psl) pour
toujours.
Ali demanda le témoignage de Dieu quant à son innocence dans ce crime et ordonna
la proclamation d’une expédition contre Mu’âwiyah.
Une deuxième fois l’Imam envoya un message de paix à Mu’âwiyah, lui demandant de
faire allégeance au nouveau Calife que lui, Ali, était devenu par la volonté
d’Allah et de son peuple. Jarîr Ibn Abdallah al-BajAli, un vieil ami de
Mu’âwiyah, gouverneur de Hamadân et chef des Banî Bajila, fut le porteur de ce
message. Celui-ci se trouvait à Kûfa pour prêter allégeance à l’Imam Ali (Psl).
On était au mois de Cha’bân 36 A.H. soit janvier 657 A.J.C. L’attente de son
retour à Médine fut longue et pleine d’angoisse. Trois mois après son départ, il
revint avec une réponse orale de Mu’âwiyah. Le récalcitrant lui faisait dire
qu’il ne prêterait pas allégeance à Ali (Psl) tant que les meurtriers de Usmân
n’étaient pas punis.
Mâlik Al-Achtar reprocha à Jarîr son trop long séjour, certainement marqué par
le plaisir, auprès de Mu’âwiyah. Mécontent d’une telle remarque, Jarîr quitta
Médine et préféra rejoindre l’ambiance plus festive qui régnait autour de
Mu’âwiyah.
Découragé par tous ces refus obstinés de Mu’âwiyah de renoncer à ses ambitions
égoïstes pour lui faire allégeance, Ali (Psl) prit la ferme résolution de lever
une expédition vers la Syrie.
C’est ainsi qu’au mois de Thul-Qi'da de l’an 36 A.H. (Avril 657 A.J.C.), Ali
(Psl) leva son armée en direction de Madâ’in en prenant la précaution de se
faire précéder par une garde avancée. Ils traversèrent le désert mésopotamien
puis l’Euphrate à Riqqah avant de se diriger vers l’Ouest. A Sour-al-Rûm,
l’avant-garde de l’armée d'Ali mit en déroute l’avant-garde Syrienne.
4-La rencontre à Siffin :
L’armée d'Ali ne rencontra plus de résistance jusqu’à son arrivée à Siffin au
mois de Thul-Hijja de l’an 36 A.H. (Mai 657 A.J.C.). Les forces de Mu’âwiyah
étaient déjà stationnées à cet endroit.
L’unique accès à l’eau de l’Euphrate, sous contrôle de Siffin sur une longue
distance, gardé par les guerriers de Mu’âwiyah, fut interdit aux loyalistes.
L’un des généraux de l’armée rebelle, Abul-Awar, y avait été placé à la tête de
plusieurs milliers de combattants en vue d’assoiffer les guerriers d'Ali (Psl).
Ces derniers constatèrent dés leur arrivée cet état de fait et en rendirent
compte à leur Calife. Ali (Psl) envoya une délégation à Mu’âwiyah pour lui
demander de libérer l’accès à l’eau car ils étaient tous liés par des liens de
parenté malgré leur hostilité réciproque et qu’en plus si, lui Ali (Psl) avait
un tel avantage il ne l’aurait mis à la disposition des deux armées. Mu’âwiyah,
comme il fallait s’y attendre, refusa de renoncer à ce qu’il considérait comme
la garantie de sa victoire.
Devant l’intransigeance de Mu’âwiyah et la soif des gens, Mâlik Al-Achtar et
Ach’ath Ibn Qays obtinrent d'Ali (Psl) l’autorisation de mener chacun plusieurs
milliers d’hommes, respectivement à la tête de la cavalerie et de l’infanterie,
contre les troupes dirigées par Abul-Awar. Le but était de foncer dans les rangs
ennemis et de remplir leurs outres de l’eau du fleuve. Une bataille s’engagea,
qui vit la défaite des rebelles malgré l’arrivée des renforts dépêchés par
Mu’âwiyah à la demande de Abul-Awar. Les rebelles battirent la retraite.
Les loyalistes s’installèrent à leur tour dans la zone d’accès à l’eau de
l’Euphrate. Lorsque Mu’âwiyah, en position de faiblesse à présent, demanda ce
qu’il venait de refuser de donner, Ali (Psl) lui administra une belle leçon de
sagesse et de magnanimité en donnant libre accès au fleuve, et de façon
égalitaire, aux combattants des deux armées.
5-Les combats :
Les combats, à proprement parler, engagés entre combattants lors de la bataille
de Siffin durèrent quarante jours. Cependant il y’eut entre-temps, après un mois
de combat, une trêve pendant le mois sacré de Mouharram.
L’armée du Calife comptait quatre vingt six mille hommes répartis sur plusieurs
colonnes commandées par Ammâr Ibn Yâcir, ‘Abdullâh Ibn Abbâs, Qays Ibn Sa’d Ibn
Obâdah, Abdullah Ibn Ja’far, Mâlik al-Achtar, Ach’ath Ibn Qays al-Kindi, Sa’îd
Ibn Qays Hamadânî, Ibn Hânî, Muhammad Ibn Abû Bakr et Al-Hassan Ibn Ali.
Les hommes de Mu’âwiyah, au nombre de cent vingt mille, étaient également
disposés en colonnes commandées par Amr Ibn al-Âç, Obaydullâh Ibn ‘Umar, Abul
Awar, Thul Kala Homayri, Abdul-Râhman Ibn Khâlid Ibn WAlid, Habîb Ibn Maslamah,
Bisr Ibn Artâ-âta et Yâzid al-Abassî.
Les hommes des deux camps s’engagèrent pendant le premier mois, Thul-Hijja an 36
A.H., dans des combats singuliers presque, pourrait-on dire, ordonnés, d’où leur
durée. Ali (Psl) tenait au début à ce qu’il y ait le moins de victimes
possibles, espérant toujours un règlement par le retour à la sagesse de
Mu’âwiyah.
Après la trêve du mois de Mouharram pendant lequel le combat était interdit, les
hostilités reprirent de plus belle. Pendant la première semaine du mois de Safar
de l’an 37 A.H. (on venait d’entrer dans un nouvel an musulman) les combats
firent beaucoup plus de victimes que d’habitude. Ali (Psl) décida alors de
précipiter la fin de cette guerre en s’impliquant personnellement dans l’assaut
final.
Nous vous signalerons deux événements, l’un majeur et tragique l’autre comique,
qui s’étaient déroulés lors de cette attaque.
C’est d’abord la mort au combat du patriarche Ammâr Ibn Yâcir, celui-là à qui le
Prophète avait dit :
« Tu seras tué un jour par la partie rebelle et déviée, Ô Ammâr ! »
La mort de Ammâr, héros de la bataille de Badr et Compagnon favori du Prophète,
était regrettée tant du côté des partisans d'Ali (Psl) que de celui des
rebelles. Elle fut provoquée par la lance assassine de Jowayr Oskoni un guerrier
de Mu’âwiyah.
A présent que Ammâr était mort et qu’on savait qui l’avait tué et qu’on se
rappelait ce que le Prophète avait dit de ceux qui le tueront, il devenait
évident, tout au moins aux yeux des hommes d'Ali (Psl), que la partie rebelle et
déviée était bien celle de Mu’âwiyah.
Comme il fallait s’y attendre, le doute s’empara des guerriers de Mu’âwiyah et
la discorde s’installa. Et comme un soldat ne doit pas douter devant l’ennemi,
Amr Ibn Al-Âç le rusé conseiller de Mu’âwiyah renversa intelligemment le sens de
l’accusation en disant :
« Et qui d’autre a tué Ammâr, si ce n’est Ali (Psl), le rebelle, en l’amenant
ici ? »
Ali (Psl) répliquera à ceux qui lui rapportèrent ces paroles de Amr : « Si ce
qu’il dit pouvait être vrai alors on aurait pu également dire que c’est le
Prophète (Pslf) qui a tué Hamzâ à Ohod pour l’y avoir amené »
Un adage dit : « Cheytan (Satan) n’a pas dit la vérité mais il a semé le doute
dans les esprits. » L’argutie était certes tordue mais elle eut un effet positif
dans les rangs de l’armée Syrienne. Cette répartie facile fit le tour de l’armée
et sembla convaincre les soldats.
L’autre événement quasi-comique mais important pour mieux éclairer le lecteur
sur les qualités extraordinaires de l’Imam Ali (Psl), se déroula entre deux
acteurs : Ali (Psl) et Amr Ibn al-Âç. Le premier était souvent amené à se
déguiser afin de pouvoir avoir des candidats qui accepteraient de se battre
contre lui. On dit même qu’il se déguisa plus de soixante dix fois ! Une fois,
Amr Ibn al-Âç, s’étant assuré qu'Ali (Psl) n’était pas dans le groupe qu’il
voulait attaquer, s’enhardit en lançant des paroles défiantes envers le Calife.
Quand il se rapprocha de l’Imam Ali (Psl) et que celui-ci lui répondit par des
mots qui l’identifièrent, Amr fit un volte-face fulgurant et détala de toute la
force de son cheval lequel souffra le martyre sous les coups de fouet et
d’éperon de son maître apeuré. Ali (Psl) se mit à sa poursuite et, dés qu’il
l’atteignit, le fit tomber de cheval avec la pointe de sa lance. Amr chuta, et
dévoila ses parties intimes pour obliger Ali (Psl) à se détourner de lui.
Devant un spectacle aussi humiliant et profane, Ali (Psl) eut la magnanimité
(encore une fois) de laisser la vie sauve à son ennemi tout en lui faisant
observer qu’il ne devait plus oublier les circonstances honteuses auxquelles il
devait la vie sauve.
Amr fera l’objet de moqueries succulentes de la part de Mu’âwiyah à qui il
répondit d’ailleurs qu’il n’avait pas plus de mérite que lui Amr.
La finale de la bataille de Siffin eut lieu les 11, 12 et 13 Safar de l’an 37
A.H. Les forces d'Ali (Psl) s’étaient lancés dans la bataille de façon décisive.
Ils attaquèrent à outrance et sans répit avec l’objectif d’en finir avec
l’ennemi. La pleine lune du 13 Safar permit aux combattants d'Ali (Psl),
notamment à Mâlik Al-Achtar le héros de cette guerre, de faire une véritable
razzia sur l’armée des rebelles. Au matin du lendemain, les Syriens constatèrent
avec désarroi leur repli forcé et les pertes énormes que les loyalistes leur
avaient infligées.
Mu’âwiyah était sur le point de capituler (par la fuite) lorsque le rusé Amr Ibn
al-Âç lui proposa une issue de secours très habile mais combien malhonnête. Amr
expliqua sa ruse :
« Courage, Mu’âwiyah ! Ne te décourage pas ! J’ai imaginé le moyen de prévenir
la crise. Appelle l’ennemi à la Parole de Dieu en levant haut le Livre Sacré.
S’il accepte, cela te mènera à la victoire, et s’il refuse de subir l’épreuve,
la discorde sévira dans ses rangs. »
6-La supercherie pour éviter la capitulation :
Mu’âwiyah n’avait plus le choix. C’était soit s’enfuir (son cheval était déjà
prêt) soit tenter la ruse de Amr. Il choisit la deuxième alternative. Ainsi ses
partisans levèrent plus de cinq cents exemplaires du Coran accrochés à la pointe
de leur lance et, les montrant à leurs adversaires, crièrent :
« Laissons au Livre de Dieu le soin de décider de nos différends »
Les partisans d'Ali (Psl), Ach’ath Ibn Qays en tête, n’hésitèrent pas une
seconde, obnubilés qu’ils étaient par la crainte de ne pas répondre à une telle
épreuve qu’ils croyaient sincère. Ils déposèrent leurs armes et répondirent
comme un seul homme : « Oui, le Livre de Dieu ! Laissons-le décider de nos
différends »
Ali (Psl) s’opposa avec toute la véhémence possible à la proposition de
l’adversaire et tenta d’en éloigner ses soldats : « C’est une supercherie,
leur lança-t-il. Craignant la défaite, ces hommes malveillants ont trouvé cette
astuce de sauvetage » Puis, lorsqu’on lui reprocha de refuser de se
soumettre à la décision du Coran auquel l’appelaient ses ennemis, il ajouta :
« C’est pour les amener au Coran que je les ai combattus si longuement. Ce
sont des rebelles. Allez donc combattre votre ennemi. Je connais Mu’âwiyah, Amr
Ibn al-Âç, Ibn Abî Sarh, Habîb et Dhohâk mieux que vous. Ils n’ont pas d’égard
ni pour la religion ni pour le Coran »
Malheureusement, ses hommes avaient déjà fait leur choix et menacèrent même leur
Calife au cas où il refuserait l’appel des rebelles.
L’intransigeance incompréhensible de ces hommes fit d’eux, dans l’histoire, les
khawârij (khâridjites) c’est-à-dire les sécessionnistes.
Devant le refus de Mâlik Al-Achtar de revenir du champ de bataille où il tenait
à continuer le travail commencé, ils exigèrent d'Ali (Psl) qu’il le fasse
revenir. Ce qu'Ali (Psl) fit au grand désarroi de son chef de guerre intrépide.
Il lui lança ce message pathétique :
« A quoi sert la victoire lorsque la trahison sévit à l’intérieur de mon
propre camp. Reviens tout de suite avant que je sois tué ou livré à mes ennemis
»
Mâlik cracha à la face des khawârij son mécontentement et la lâcheté de leur
décision. Ceux-ci ripostèrent par des insultes et Ali (Psl) dût intervenir pour
calmer les nerfs.
7-Le traité d’arbitrage :
Ach’ath Ibn Qays, qui s’était fait remarquer parmi les khawârij, obtint d'Ali
(Psl) la permission d’aller prendre auprès de Mu’âwiyah la signification précise
de l’acte de ses soldats. A son retour, il leur apprit que Mu’âwiyah et ses
hommes proposaient qu’un juge soit nommé de part et d’autre et que leur
différend leur soit soumis. Le verdict conforme au Coran que ces deux juges
donneront sera alors définitivement appliqué à tous. On demanda l’avis d'Ali
(Psl) qui s’en abstint en disant simplement que celui qui n’est pas libre ne
peut donner son avis. Ali (Psl) leur suggéra de « régler l’affaire de la
manière qu’ils estimaient convenable pour eux-mêmes ».
Abû Moûssâ al-Acharî, l’ex-gouverneur de Kûfa qui n’avait pas pris part aux
combats, fut choisi par les Khawârij comme le juge du camp des loyalistes. Ali
(Psl) suggéra à sa place Abdullâh Ibn Abbâs le cousin du Prophète (Pslf) car Abû
Moûssâ n’avait pas participé aux combats et en plus avait été destitué par lui.
Les khawârij tournèrent en dérision ce choix du Calife et maintinrent le leur.
Du côté des Syriens, le choix de Amr Ibn al-Âç s’imposait bien évidemment au vu
de sa roublardise inouïe mais aussi du fait qu’il était l’initiateur de ce plan
diabolique.
Les deux juges se présentèrent dans le camp d'Ali (Psl) pour la rédaction de
l’acte d’arbitrage. Un premier désaccord apparut dés le début. Sous la dictée
d'Ali (Psl), l’acte commençait par :
« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce qui a été agréé
entre le Commandeur des Croyants, Ali (Psl), et … »
Amr Ibn al-Âç objecta qu'Ali (Psl) n’était pas leur Commandeur à eux les Syriens
et qu’il fallait s’en tenir à « Ali (Psl) et Mu’âwiyah ». Ali (Psl) se rappela
la prophétie du Prophète (Pslf) qui lui avait dit qu’il viendra un jour où il
aura à faire la même concession qu’il venait de faire ce jour-là. C’était lors
de la signature du traité de Hudaybiyyah entre le Prophète (Pslf) et les arabes
païens. C’était à propos de la fréquentation de la Kaaba par les deux groupes.
Les Quraych s’étaient opposés à ce qu’on ajoute au nom du Prophète (Pslf) son
titre de « Messager de Dieu ».
Ali accepta finalement d’enlever son titre du texte après toutefois ce rappel
important. Il tenait à leur montrer que ceux qui avaient lutté contre le
Prophète (Pslf) (Abû Sofian, Abû Jahl, Abû Lahâb, etc.) avait laissé derrière
eux une descendance qui assurait la continuité de leur action contre la famille
du Prophète (Pslf) porte-flambeau de la pureté des enseignements de Dieu et de
Son illustre Envoyé.
L’acte d’arbitrage fut signé le Mercredi 13 Safar de l’an
37 A.H. (31 Juillet 657 A.J.C.) par Ali (Psl) et Mu’âwiyah.
Les juges prêtèrent le serment de juger en étroite conformité avec le Coran et
en toute impartialité dans un endroit situé à égale distance de Kûfa et de
Damas. Les deux parties, quant à elles, s’engagèrent à appliquer la décision des
juges, laquelle décision devait intervenir sept mois plus tard. Pendant ce temps
une trêve devait être observée.
Ainsi Ali (Psl) et Mu’âwiyah suivis de leurs partisans rentrèrent respectivement
à Kûfa et à Damas.
8-Le bilan de la bataille de Siffin :
Selon Abul Fidâ, quatre vingt dix batailles avaient été livrées à Siffin. Pour
la plupart des historiens soixante dix mille hommes y perdirent la vie dans les
deux camps dont quarante cinq mille Syriens (de Damas et Mu’âwiyah) et vingt
cinq mille Irakiens (Kûfites d'Ali).
Du côté d'Ali les chefs qui disparurent lors de cette bataille sont : Ammâr Ibn
Yâcir, Hâchim Ibn Otbah, Khazimah Ibn Thâbit, Abdullâh Ibn Boydal et Abdul
Hâthîm Ibn Tayhân. Chez Mu’âwiyah les « illustres » disparus étaient Thul-Kala,
Homayrî, Obaydullâh Ibn ‘Umar, Hochâb Ibn Thil-Zalim et Habîb Ibn Sa’d al-Tay.
9-La décision des juges ou la perfidie de Amr Ibn
al-Âç :
Le jour convenu arriva et les juges désignés, Abû Moûssâ al-Acharî et Amr Ibn
al-Âç, se rejoignirent au lieu du rendez-vous comme prévu, chacun escorté par
une délégation de 400 personnes.
De nombreux chefs et notables vinrent de Médine, de la Mecque, d’Irak et de
Syrie pour assister à la prise de décision qui devait engager l’avenir de toute
la Umma.
Amr Ibn al-Âç connaissait les points faibles d'Abû Moûssâ al-Acharî. Par exemple
qu’il suffisait de lui montrer beaucoup de considération pour l’avoir sous son
joug. C’est ce qu’il fit en le prenant dés le début avec des égards
exceptionnels qui comblèrent Abû Moûssâ.
Amr lui fit admettre sans difficulté que Usmân avait été ignoblement assassiné.
Ensuite il tenta de le convaincre qu’il était normal que Mu’âwiyah lui succéda
car ce dernier était le vengeur du sang de son proche parent qu’était Usmân,
doublé d’un chef compétent. Abû Moûssâ refusa cette référence au sang sinon,
trouva-t-il, les fils du défunt seraient mieux placés que Mu’âwiyah sur ce plan.
Amr lui demanda alors de faire une proposition. Abû Moûssâ répondit :
« Ecartons Ali (Psl) et Mu’âwiyah pour laisser les Croyants élire une tierce
personne »
Amr se dit d’accord avec son interlocuteur et le pria d’aller ensemble annoncer
la décision qu’ils venaient de prendre de commun accord. Au moment d’annoncer
publiquement leur décision, Amr insista pour que Abû Moûssâ montât le premier
sur la tribune pour faire sa déclaration, par courtoisie pour l’homme d'Ali
prétexta-t-il. Abû Moûssâ fit preuve de toute sa naïveté en acceptant sans
précaution de dire au public :
« Frères ! Amr al-Âç et moi-même avons ensemble examiné la question
profondément, et conclu que le meilleur moyen possible de restaurer la paix et
d’effacer la discorde du peuple est de déposer à la fois Ali (Psl) et Mu’âwiyah
du Califat afin de laisser au peuple le soin de choisir à leur place un homme
meilleur. C’est pourquoi, je destitue à la fois Ali et Mu’âwiyah du Califat
auquel ils prétendent, de la même façon que je retire cette bague de mon doigt
».
Amr monta à son tour et fit la surprenante déclaration suivante :
« Vous avez entendu comment il a déposé son chef Ali (Psl). Pour ma part, je le
dépose également et j’investis mon chef Mu’âwiyah du Califat, et je l’y
confirme, de la même façon que je mets cette bague à mon doigt. Je fais ceci
avec justice car Mu’âwiyah est le vengeur de Usmân et son successeur légal. »
La stupéfaction était générale. De part et d’autre personne n’avait songé à
pareille duperie. Abû Moûssâ, complètement dépassé par la mauvaise foi sans
limite de son collègue, ne trouvait aucune explication à un revirement aussi
diamétral sinon de reconnaître qu’il a été dupé.
Amr descendit de la tribune sous un tonnerre d’applaudissements des Syriens qui
ne pouvaient espérer une meilleure issue dans cette affaire. Pendant ce temps
les Kûfites ne parvenaient pas à contenir leur rage contre Amr mais encore plus
contre Abû Moûssâ à qui ils ne manquèrent pas de le lui montrer à travers des
injures et même des coups de fouet, notamment du chef de l’escorte Kûfite,
Churay.
Le fils de ‘Umar, Abdullâh Ibn ‘Umar fit de cet événement un commentaire qui
résumait le long fleuve de commentaires qui coula à propos de cette décision :
« Voyez ce qui est arrivé à l’Islam. Sa plus grande affaire a été confiée à deux
hommes dont l’un ne distingue pas le bon droit de l’erreur, et l’autre est un
nigaud. »
Abû Moûssâ fit vite de se retirer par la suite à la Mecque où il mourut
malheureux cinq ou quinze ans plus tard selon les auteurs.
A Damas Mu’âwiyah fut proclamé nouveau Calife et fêté comme tel. A partir de ce
moment-là les affaires de Mu’âwiyah commencèrent à prospérer tandis que le
pouvoir d'Ali (Psl) s’effritait de jour en jour.
10-La position d'Ali (Psl) concernant les décisions des
juges :
Le jugement n’ayant pas été juste encore moins conforme au Coran, Ali (Psl) ne
pouvait que le rejeter. Il prit alors la décision de reprendre les hostilités
contre l’ennemi Mu’âwiyah. Il avait tenu à respecter la trêve signée entre les
deux parties malgré sa volonté, sous la menace des khawârij comme nous l’avons
vu précédemment.
En effet les jugements qui venaient d’être dits – il y en avait bien deux et non
un comme convenu – étaient contradictoires malgré l’accord préalable entre les
deux juges. Dés lors l’acte d’arbitrage avait été violé car il était entendu que
les juges devaient se concerter et se mettre d’accord sur une décision commune
et conforme au Coran mais évidemment non contradictoire. Ensuite cette décision
prise de commun accord devait être appliquée aux deux parties en conflit.
On ne comprendrait d’ailleurs pas qu’il pût en être autrement sinon ils
n’auraient pas eu à se concerter si chacun pouvait juger séparément de l’autre.
Il est évident qu’un tribunal ne peut donner deux jugements définitifs
contradictoires sur une même affaire.
A juste raison Ali (Psl) ne se sentait donc pas concerné par de telles décisions
basées sur une tromperie, ridicule d’ailleurs et contraire à l’esprit et à la
lettre du Livre Sacré qui bannit la fourberie et l’hypocrisie dont avait usé et
abusé Amr Ibn al-Âç.
La trêve conclue entre les deux factions en guerre devant être respectée jusqu’à
la proclamation du verdict des juges, le Calife n’était donc plus lié par un
quelconque engagement. C’est ainsi qu’il appela ses partisans à la reprise des
hostilités contre Mu’âwiyah.