Dans notre précédente étude, nous avions établi que le saint Coran présentait la
religion non pas en tant que décision législative, mais en tant que loi
historique et élément essentiel de la création divine. Cette loi admet d’être
défiée à court terme, mais tous ceux qui la défient seront châtiés par les lois
même de l’histoire. Pour comprendre cette loi historique stipulée par le Coran,
nous devons analyser les composantes de la société. Comment se présentent-elles
pour le saint Coran ?
« Lorsque Dieu dit aux anges : Je vais instituer un vicaire sur terre. Et
ceux-ci de répartir : Y placeras-Tu quelqu’un qui y sèmera le désordre et y
versera le sang, alors que par nos louages, nous publions Ta gloire et
magnifions [par nos prières] Ta sainteté ? – En vérité, [rappela Dieu], Je sais
ce que vous ne savez pas » (Al-Baqarah, 30).
Ce verset nous rappelle qu’Allah, Gloire à Lui, annonce aux anges qu’il a décidé
de fonder une société sur terre. Que pouvons-nous en dégager ?
La Notion D’Istikhlaf
Trois éléments constitutifs de la
société apparaissent : l’homme, la terre ou la nature de façon générale et la
relation abstraite qui lie d’une part l’homme à la terre et à la nature et
d’autre part, à son frère l’homme. C’est cette relation abstraite que le Coran a
définie par istkhlaf. Ce sont les composantes de la société.
Nous remarquons que toutes les sociétés humaines possèdent, en commun, ces
éléments. Cependant, les relations homme nature et homme prennent des formes
différentes.
Le troisième élément est l’élément souple, mobile, de la société humaine, il
varie en faction des sociétés et prend soit une forme quadripartite soit
tripartie. La forme quadripartite de la relation entre les constituants de la
société humaine suppose un autre élément constitutif, qui ajoute une dimension
supplémentaire à la relation sociale.
Bien qu’il ne fasse pas partie du cadre de la société mais se situe au-delà, la
forme quadripartite de la relation sociale le considère comme un élément
essentiel. C’est cette forme quadripartite de la relation sociale que le Coran a
présentée sous le terme d’istikhlaf.
L’istikhlaf :
une représentation de l’Univers
Après analyse de ce terme, nous découvrons qu’il recède quatre données :
l’istikhlaf suppose un mustakhlif mais aussi un mustakhlaf et un mustakhlaf’
alyhi. En d’autre termes, outre l’être humain, son frère et la nature, existe un
quatrième élément dans la formation même de la relation de l’istikhlaf, qui est
le mustakhlif qui est Allah Gloire soit-Il, le mustakhlaf étant l’homme et son
frère, c’est- à dire l’humanité entière, et le mustakhlif’alayhi représentant la
terre et ce qui s’y trouve. Par conséquent, la relation sociale, dans la forme
de l’istikhlaf, est qua tripartite, elle est rattachée à une vision précise de
la vie et de l’univers, consistant à affirmer qu’il y a nul maître ni détenteur,
ni dieu dans l’univers et la vie autre qu’Allah le Très-Haut, et que le rôle de
l’être humain, en menant sa vie, consiste à assumer l’istikhlaf et l’istiman. Il
en résulte que toute relation d’un possédant avec sa possession est une relation
d’un protecteur avec un dépôt confié, et que toute relation nouée entre l’homme
et son frère l’homme, quelles que soient leurs conditions sociales respectives,
est une relation réciproque d’istikhlaf pour autant que cet homme ou cet autre
remplissent leur rôle ; elle n’est nullement une relation de domination, de
déification ni de possession. Cette forme sociale quadripartite conçue par le
Saint Coran sous le terme d’istikhlaf représente une vision précise de la vie et
de l’univers.
Par contre, la relation sociale tripartite relie trois éléments entre eux,
l’homme, l’homme et la nature. Le lien avec le quatrième élément est coupé, la
relation est alors dépourvue de cette dimension divine. Ainsi, la vision de
chaque élément constitutif demeure à l’intérieur même de cette forme.
Il y eut de nombreuses façons d’appropriation et de domination, celle de l’homme
sur son frère a pris des voies différentes tout au long de l’histoire lorsque la
quatrième dimension a été abrogée et qu’il fut supposé que l’homme est le
commencement. Dès lors, la forme tripartite a engendré toutes les formules
possibles d’appropriation et de domination.
En comparant les deux formes, la quadripartite et la tripartite, nous nous
apercevons que l’adjonction numérique, il ne s’agit pad d’un simple élément
rajouté aux autres élément. Il ne s’agit pas de la formule 3 +1 car l’élément
ajouté donne une signification différente aux trois autres et introduit un
changement essentiel dans la structure de cette relation quadripartite : l’homme
et son frère deviennent associés pour préserver le dépôt et assurer l’istikhlaf,
et la nature, la terre avec tout ce qui s’y trouve, n’est plus qu’un dépôt dont
il faut protéger le droit et auquel il faut remettre son dû.
L’isthikhlaf représente donc la forme quadripartite de la relation sociale et
elle est, pour le Saint Coran, une loi historique.
Le livre divin a exposé cette forme de deux façons : l’une en la qualifiant
d’acte divin en tant que don d’Allah, Exalté soit-Il, c’est ce que nous
comprenons dans : « Je vais instituer un vicaire sur terre ». La relation
d’istikhlaf est donc un don de Dieu, représentant le rôle positif et généreux du
Maître du Monde envers l’humanité.
L’autre façon concerne l’homme, qui reçoit la khilafa, tel que nous pouvons le
comprendre dans ce verset :
« En vérité, Nous avons proposé le dépôt aux cieux, à
la terre, aux montagnes, mais ils refusèrent de s’en charger et en furent
effrayés. L’homme [par contre] a accepté de s’en charger, car il est injuste et
ignorant à l’extrême » (Al-Ahzab, 72).
Le dépôt confié (amana) est la face réceptive de la khilaf, cette dernière est
la face active et donatrice du dépôt, al-amana et al-khilafa sont l’expression
de l’istikhlaf et de l’isti’man, d’une responsabilité à assumer.
Elles sont la traduction de cette forme quadripartite qui est exprimée soit à
travers l’Acteur, Allah le Tout-puissant : « Je vais instituer un vicaire sur
terre », soit à travers l’acquéreur ou le rôle de l’humain acceptant la khilafa
et la responsabilité du dépôt. Il, glorifié soit-Il, dit « Nous avons proposé le
dépôt aux cieux, à la terre, aux montagnes ». Le dépôt proposé à l’être humain
et qui fut accepté par lui ne le fut pas en tant que charge imposée (taklif) ou
une exigence. De même, l’acception de ce dépôt ne se situe pas au niveau de
l’obéissance ou de la conformité car cette proposition fut avancée aux montagnes
et cela n’a aucun sens d’obliger les cieux, les montagnes ou la terre. Cette
proposition est de nature originelle et non législative, elle signifie que ce
présent divin était à la recherche d’un lieu capable de le recevoir de façon
naturelle, originelle, avec sa constitution historique. Ni les montagnes, ni les
cieux ni la terre ne peuvent assumer harmonieusement le don de la khilafa. Le
seul être qui fut, de par sa constitution et nature, en harmonie avec cette
relation sociale quadripartite correspondant au dépôt et à la khilafa, fut
l’être humain.
L’acception est donc originelle et prend le sens d’une loi historique, la
relation sociale quadripartite fait partie de la constitution humaine et de son
parcours naturel et historique.
Ce saint verset indique de plus que cette loi historique est de la troisième
forme, une loi qui admet le défi et la désobéissance, comme le confirme
l’expression « il (l’homme) est injuste et ignorant à l’extrême ». Bien qu’elle
soit une loi historique, elle que l’homme la contrecarre et prenne une attitude
négative vis-à-vis d’elle, cette expression est à rapprocher de celle du verset
cité précédemment « mais la plupart des gens se savent pas ».
En réalité, les deux versets désignent la même vérité. Dans « Lève la tête en
monothéiste sincère pour [ professer], selon la nature que Dieu a originellement
donnée aux hommes- pas de modification dans la création de Dieu ; voilà la
religion dans sa rectitude, mais la plupart des hommes ne savent pas » ( ar-Rum,
30), l’expression ‘’rectitude de la religion ‘’ indique que la nature, la
constitution première de l’être humain et son parcours historique forment la
religion droite ou en d’autres termes, que la religion dirige la vie, aiguille
son parcours. Ce rôle dirigeant de la religion exprime, d’une manière
totalisante, la religion sociale quadripartite contenue dans les deux versets «
Je vais instituer un vicaire sur terre » et « Nous avons proposé le dépôt aux
cieux, à la terre, aux, montagnes », la religion est une loi de la vie, une loi
historique, la religion est la religion correcte, c’est la relation sociale
quadripartite où Allah fait intervenir une quatrième dimension, provoquant un
bouleversement total de ses composantes.
Il nous faut comprendre comment ce quatrième élément est devenu une loi de
l’histoire, quel rôle joue-t-il en tant que loi historique, comment peut-il
diriger et orienter le parcours de l’être humain sur la scène historique ? Pour
cela, il nous faut connaître les deux principales bases de la relation sociale
que sont l’homme -l’homme et l’homme – la nature, l’univers, la terre. Etant
donné que ces deux bases font partie de la forme aussi bien tripartite que
quadripartite, nous les désignerons par les bases fixes de la relation sociale.
Pour connaître le rôle d’Allah, Exalté soit-Il, dans l’agencement de la relation
sociale, nous devons tenter une approche des deux bases fixes et comprendre le
rôle respectif de l’homme et de la nature afin de réaliser ce qui distingue la
forme tripartie de celle quadripartite et en quoi le quatrième élément devient
essentiel.
Le rôle de
l’être humain dans le mouvement historique
Il est clair que, pour le Saint Coran, l’homme ou le contenu interne de l’homme,
représente le moteur de l’histoire, Nous avons déjà rappelé que le mouvement
historique se distingue des autres mouvements du fait qu’il est régi par le but
et non par la cause uniquement, il n’est pas rattaché au passé mais en tant que
mouvement régi par un but, une motivation, il est tourné vers l’avenir qui
devient le moteur de toute activité historique. Bien que la nation d’avenir soit
abstraite, elle demeure, cependant, le moteur à cause de sa présence mentale.
Cette présence mentale de l’avenir est donc le catalyseur, le moteur et le
mobile du mouvement du but à atteindre, et de l’autre, l’énergie et la volonté
qui permet à l’homme de se lancer en direction de son but. Il s’agit, en
d’autres termes, de la pensée et de la volonté qui, par leur alliance,
concrétise l’avenir et le mouvement de l’activité historique sur la scène
sociale.
Ces deux termes, la pensée et la volonté, sont en effet le contenu interne de
l’être humain ; elles matérialisent les motivations et les buts.
C’est en ce sens que le contenu interne de l’être humain représente le fondement
du mouvement historique et de la superstructure sociale, avec tout ce qu’elle
représente comme relations, organisations et idées. Les détails de cette
superstructure sont en réalité reliés à cette base, leur changement et leur
évolution dépendent de son changement et de son évolution.
La relation établie entre le contenu interne de l’être humain et la
superstructure historique de la société est une relation de cause à effet, elle
représente une loi historique qu’Allah, Gloire à Lui, a exprimé ainsi :
« Dieu en vérité ne modifie nullement l’état d’un
peuple tant que les individus [qui le composent] ne modifient pas ce qui
eux-mêmes » (ar-Ra’d, 11)
Ce verset montre clairement que le contenu interne de l’homme est la base et le
fondement de la superstructure, du mouvement historique car le verset signale
deux changements : le changement de la communauté « Dieu en vérité ne modifie
nullement l’état d’un peuple », incluant sa situation, ses affaires, ses
manifestations, tout ceci ne peut changer sans que le contenu interne de la
communauté, en tant que communauté, nation et arbre béni, qui est un changement
car le changement d’un individu ou de quelques-uns ne peut prétendre à
l’essentiel.
Le contenu mental et interne d’une nation, et non de tel ou tel individu, est le
facteur essentiel et la base des changements dans la superstructure de mouvement
de l’histoire.
L’Islam et le Saint Coran stipulent que les deux processus sont parallèles,
celui où l’homme bâtit son propre contenu interne, ses idées, sa volonté et ses
ambitions et celui de la construction externe. Supposer que la construction
externe soit détachée du contenu interne est absurde à moins qu’il ne s’agisse
d’une construction ébranlée et prétentieuse.
C’est la raison pour laquelle l’islam désigna la construction du contenu
interne, lorsqu’elle poursuit un chemin juste par « Al-jihad al-A-AKBAR » est la
construction externe, lorsqu’elle est justement menée par « Al-jihad al-asghar »
reliant les deux et considérant que lorsque al-jihad al-asghar rompt ses liens
avec al-jihad al-akbar, il perd son sens, son contenu et sa capacité au
changement réel sur la scène historique et sociale.
Le Saint Coran expose un cas de rupture entre la construction externe et celle
interne. Allah, Gloire à Lui, dit :
« Tel homme te plaira par les propos qu’il tient sur ce
bas monde, en prenant Dieu à témoin de ce que son cœur recède, alors [qu’en
réalité] c’est un disputeur retors qui, dès qu’il te tourne le dos, saccage sur
son passage récolte et bétail, et Dieu n’aime pas le sabotage »
(al-Baqara, 204-205)
Si l’homme n’intègre pas le processus de changement dans son cœur, dans les
tréfonds de son âme, s’il ne s’édifie pas lui-même de façon juste, il ne peut
exposer les termes justes car les mots justes ne peuvent se transformer en
construction juste dans la société que si elles jaillissent d’un cœur imbibé de
ces valeurs exprimées par ces mots, sinon, les mots demeurent des expressions
creuses, sans contenu.
C’est le cœur qui donne aux mots leurs sens, aux mots d’ordre leur dimension et
au processus de construction externe son but et son orientation.
Sachant que l’essentiel du mouvement historique réside dans le contenu interne
de l’homme, nous pouvons nous interroger sur l’essence de ce dernier. Quel en
est le point de départ ? Quel est le point qui polarise le processus de
l’édification du contenu interne de l’humanité ? Il s’agit, bien évidemment de
l’idéal.
Le Rôle
Essentiel De L’Idéal
Les objectifs qui font avancer l’histoire son définis par l’idéal. Il sont tous
issus d’une représentation principale d’un idéal que l’homme se donne, que le
communauté humaine se fixe. C’est à partir de cet idéal que les objectifs
partiels sont définis, ils sont à la fois le moteur de l’histoire et l’émanation
de cette base plus profonde que représente l’idéal.
Lorsque cet idéal est correct, élevé et large, les objectifs le sont aussi, et
ces derniers sont limités et bas à la mesure de l’étroitesse et de la platitude
de l’idéal.
L’idéal est donc le point de départ de l’édification du contenu interne de la
communauté humaine, il est rattaché, en réalité, à une vision globale de la vie
et de l’univers et est défini par une communauté à partir de cette vision.
L’énergie spirituelle correspondante à cet idéal et la vision qu’elle se donne
de la vie et de l’univers assure à la communauté la volonté de se diriger vers
cet idéal.
Celui-ci se matérialise donc dans une énergie spirituelle qui entraîne
l’individu sue son chemin. Tout groupe humain, ayant choisi son idéal, a
déterminé le chemin et les détours qui y mènent.
Ayant constaté que le mouvement historique se distingue des autres mouvements
car il est tourné vers un but, nous constatons que les mouvements historiques se
différencient entre eux en fonction de leur idéal respectif, qui détermine les
buts et les objectifs qui, à leur tour, fixent les activités et les actes devant
y mener.
Le Saint Coran et l’expression religieuse donnent o l’idéal, dans de nombreuses
cas, le non de divinité étant donné qu’il dirige, ordonne et oriente et il
représente celui auquel on obéit. Ces traits, pour le Coran, appartiennent à la
divinité qui fait l’histoire. Nous lisons même, dans la Parole divine :
« As-tu vu celui qui fait de sa passion une divinité ?
» (Al-Furqan 43) où la passion est une divinité car,
prenant une place démesurée, elle devient un idéal et un but en soi pour tel ou
tel individu.
L’idéal est, selon l’expression du Coran, une divinité car elle est
effectivement adorée, elle ordonne et interdit et est le moteur de toute
activité.
Les idéaux adoptés par les groupes humains sont de trois sortes :
L’idéal qui tire sa représentation de la réalité elle-même.
La représentation de l’avenir qui en découle ne peut dépasser les limites.
Les chaînes et les affaires de la réalité.
Lorsque l’idéal tire se représentation de la réalité vécue, il ne peut que se
trouver dans un état répétitif ou, en d’autres termes, il fige la réalité pour
la réfléchir sur l’avenir, et de l’état relatif et limité, il en fait un état
absolu car lorsque la réalité passe d’un état limité à un but et à une vérité
absolue, l’être humain ne peut rien recevoir au-delà de cette réalité, faisant
du mouvement historique un mouvement répétitif, l’avenir devenant une répétition
de la réalité qui, elle-même, est une répétition d’un état antérieur.
Cette sorte de divinité s’appuie sur l’immobilisation de la réalité transformant
sa condition relative en condition absolue afin que le groupe humain ne puisse
dépasser et s’élever, par ses ambitions, au-delà de la réalité.
Cette sorte d’idéal est adoptée par deux raisons :
1) La familiarité, l’habitude, l’inertie et la décadence. Il s’agit d’une cause
mentale. Lorsque cet état mental se développe dans une société ou une nation,
elles se figent car elles se fabriquent une divinité de leur propre réalité et
leur réalité relative et limitée se transforme en vérité absolue, en un idéal
au-delà duquel elles ne voient rien. C’est ce que le Coran a exposé dans des
nombreux versets, parlant des sociétés qui s’opposèrent aux prophètes venus
proposer des idéaux réels, situés au-delà de la réalité vécue.
Ces sociétés vivaient dans l’habitude et l’inertie, elles répondirent qu’elles
voulaient demeurer dans le chemin tracé par leurs ancêtres. La réalité a dominé
leur esprit, les choses sensibles se sont tellement infiltrées dans leurs
ambitions que l’homme qui en est issu est devenu un être sensitif ; incapable de
réfléchir, il est devenu le fils et non le père de la réalité.
Ecoutons le Coran : « Ils rétorquent : Non, nous nous conformons aux
traditions de nos pères ! » (AL-Baqara, 170)
« Ils disent : Nous avons trouvé nos ancêtres formant
une communauté religieuse et nous nous dirigeons sur leurs traces »
(Az-Zukhruf, 22)
« [La religion] que nous avons vu nos pères pratiquer
nous suffit » (Al-Ma’ida, 104) et d’autres
encore
Dans ces versets, le Saint Coran expose pourquoi une société adopte un idéal
médiocre.
2) L’adoption d’un idéal plat s’explique aussi par la tyrannie pharaonique qui
s’est exercée à travers l’histoire. Lorsqu’ils s’emparent du pouvoir, les
pharaons considèrent que tout regard jeté vers l’avenir, que tout dépassement de
la réalité qu’ils dominent, sont une menace à leur existence et leur pouvoir.
L’intérêt du Pharaon fut, tout long de l’histoire, de maintenir les gens dans
l’ignorance de leur réalité, de faire de leur réalité un état absolu, une
divinité, un idéal insurmontable. Il s’agit d’une case sociale, extérieure.
C’est également ce qu’a exposé le vénérable Coran « Pharaon dit : Conseiller !
Je ne vous connais aucune divinité en dehors de moi ! » (Al-Qasas, 38) « Je ne
vous montre, répliqua Pharaon, que ce que je vois et ne vous guide que dans le
chemin de la droiture » (Al-Ghafir, 29)
Pharaon déclare ne vouloir leur montrer que ce qu’il veut, plaçant tous ses
adorateurs dans le cadre de sa vision propre, il fait la vérité un état absolu.
Allah, Exalté soit-Il, dit :
« Nous envoyâmes ensuite Moïse et son frère Aaron,
pourvus de Nos signes et d’un pouvoir manifeste à Pharaon et à son conseil de
notables qui se montèrent orgueilleux. C’étaient des gens hautains.
Croirons-nous, s’écrièrent-ils, en deux individus semblables à nous et dont les
congénères sont nos esclaves ? » (Al-Mu’minuna,
54,47).
Les gens dirent : nous ne pouvons croire à cet idéal que nous propose Musa car
il menace notre réalité. Par conséquent, l’immobilisation de la réalité vécue
par un groupe émane de souci de ceux qui ont assis leur domination à assurer
leur existence et le maintien de leurs privilèges. Le Saint Coran nomme cette
puissance qui fait de la réalité vécue un état absolu taghut.
« Bonne nouvelle pour ceux qui s’écartent du culte des
idoles et reviennent à Dieu ! Annonce-[la] à mes serviteurs qui écoutent ce
qu’on dit et suivent ce qu’il y a de plus vrai. Ceux-là sont ceux que Dieu
dirige. Ceux-là sont ceux doués d’intelligence » (Az-Zumar,
17-18).
Remarquons, dans ce verset, comment sont décrits ceux qui refusent de suivre le
taghut, « qui écoutent ce qu’on dit et suivent ce qu’il y a de plus vrai ». Ce
qui signifie qu’ils n’ont pas enchaîné leurs propres esprits, qu’ils ne se sont
pas imposés ses cadres prédéfinis, ils se sont fixés pour but la recherche de la
vérité, ainsi, ils écoutent ce qui se dit et suivent ce qui est le meilleur. En
d’autres termes, ils ont des ambitions, ils sont en situation de recherche et
d’objectivité qui leur permet de trouver la vérité. Alors que s’ils adoraient
al-Taghut, ils seraient incapables d’écouter et de suivre le meilleur mais
écouteraient seulement ce qu’il leur est demandé d’écouter.
Ces idéaux médiocres prennent souvent l’apparence des religions ou plutôt on
leur donne cette apparence pour maintenir leur domination car la relation qu’une
communauté entretient avec son idéal, quel qu’il soit, est une relation
d’adoration.
Même si l’idéal se cache derrière d’autres slogans et s’affirme comme étant
autre chose que la religion, il est fondamentalement une religion puisqu’il
exige soumission et adoration. Mais ces religions issues des idéaux médiocres
sont limitées puisque les idéaux le sont aussi, elles furent élevées au rang
d’absolues alors qu’elles ne sont issues que de visions partielles que l’homme
conçoit tout au long de son chemin.
Ces religions que l’homme produit en se fixant ce genre d’idéal sont des
religions limitées et déficientes, des religions de partition qui se posent en
face de la religion de l’Unicité.
Ces divinités fabriquées par l’homme et dont le vénérable Coran dit :
« Ce ne sont que des noms que vous-mêmes et vos
ancêtres leur avaient donnés » (An-Najm, 23), cet idéal fixé par
humain, ne peuvent être la religion droite et ne peuvent prétendre à être le
véritable facteur de l’ascension humaine.
Les sociétés et les notions qui vient cet idéal médiocre issu de la réalité
vécue vivent un état répétitif, leur passé constitue le présent et leur présent,
l’avenir.
Lorsque nous observons et analysons la situation de ces nations, nous remarquons
qu’elles se retrouvent progressivement sans idéal car il perd son efficacité à
mobiliser et à donner puisque n’étant qu’un reflet de la réalité, il ne peut
aider à développer l’humanité. En perdant son idéal, la nation se déchire, car
son unité était basée sur l’unité de l’idéal. Elle sera, comme le décrit le
Coran : « Leurs dissensions internes sont extrêmes. On
les croirait unis, mais leurs cœurs sont divisés et il en est ainsi parce que
ces gens-là ne raisonnent pas » (Al-Hashr, 14).
Les contradictions internes la tirailleront, les individus, que plus rien ne
rattache à l’ensemble, se consacreront à leurs affaires et soucis minimes,
limités, car aucun idéal n’arrive à rassembler leurs énergies, leurs capacités
et leurs aptitudes, ni leurs prédispositions au martyr.
Lorsque l’idéal se meurt, les individus se tournent vers leurs besoins limités,
leurs intérêts personnels et ne pensent qu’à assurer leur vie quotidienne dans
ses moindres détails, recherchant le repos et la stabilité de leur propre
personne. L’individu devient esclave de ses propres besoins et désirs.
Dans ce cas, lorsque la nation devient l’ombre d’elle-même et que rien ne
ressemble les individus qui la composent, trois possibilités lui sont offertes :
La première est d’être envahie par des forces militaires extérieures, c’est ce
qui arriva aux musulmans lorsqu’ils abandonnèrent leur idéal. La seconde
possibilité consiste à se fondre dans un idéal externe, importé, après que son
propre idéal ait perdu son efficacité et la troisième possibilité concerne la
renaissance, au plus profond de la société, de l’idéal perdu de façon à ce qu’il
soit capable d’élever la nation contemporaine.
Les deuxièmes et troisième possibilités se sont offertes à la nation au cours du
colonialisme, des voix se sont élevées pour prôner l’intégration et
l’assimilation de l’idéal extérieur et importé, et c’est ce qu’ont effectivement
fait Rida khan en Iran et Atatürk en Turquie, lorsqu’ils adoptèrent l’idéal de
l’homme blanc victorieux et voulurent le faire adopter par les Musulmans qui
avaient perdu le leur. D’autres voix se sont, au contraire, insurgées et
appelèrent à la renaissance de l’Islam. Ils consacrèrent leurs efforts pour
revivifier l’idéal perdu en le présentant dans un langage contemporain et
capable de répondre aux besoins des Musulmans.
Toute nation qui devient l’ombre d’elle-même fait face à ces trois possibilités.
La deuxième sorte d’idéal est un idéal issu de l’ambition d’une nation qui
regarde vers l’avenir. Il ne s’agit pas d’un état répétitif de la réalité mais
d’un regard vers l’avenir, d’une mobilisation vers le nouveau, la créativité et
le développement. Mais cet idéal ne traduit qu’une étape de l’avenir, qu’une
partie de ce long chemin ou en d’autres termes, cette ambition d’où est issu cet
idéal demeure limitée, enchaînée, incapable de survoler de longues distances.
Elle s’appuie sur une vision limitée de l’avenir.
Cet idéal renferme en lui un aspect positif mais également de grandes
possibilités de danger. Il est vrai qu’objectivement, l’homme ne peut assimiler
à lui seul le long chemin de l’humanité, il ne peut comprendre l’absolu étant
donné son intelligence limitée. Il peut tout juste assimiler une part de cet
absolu, ceci est normal et naturel.
Le danger réside, cependant, lorsque cette part d’absolu saisie par l’être
humain, cette poignée limitée, cette étincelle de la lumière, est transformée
par l’homme en lumière des cieux et de la terre, transformée en idéal, en absolu.
Car lorsque l’idéal émane d’une représentation mentale limitée de l’avenir et
qu’il devient absolu, il peut servir l’homme dans l’étape présente et peut lui
assurer les possibilités de développement, il peut, à la mesure de l’énergie
accumulée, mobiliser l’homme mais très vite, il arrive au sommet de ses
capacités et devient alors une entrave au développement, il devient une divinité,
une religion, une réalité en soi.
L’erreur qui consiste à faire du limité un absolu est généralisée soit
verticalement soit horizontalement. La génération consiste à considérer que
l’idéal regroupe toutes les valeurs humaines pour lesquelles la société se bat
et lutte. Alors qu’en réalité, l’idéal qui le motive, bien que juste, ne
représente qu’une partie de ces valeurs.
Source: quran.al-shia.org / Sayed Muhammad Baqir As-SADR