Malgré l'indemnisation payée pour la mort d'un Mecquois à Nakhlah, les Quraych étaient furieux et préparaient une vengeance terrible. Ils prétendaient être encore plus irrités par une rumeur, totalement dénuée de fondement, selon laquelle la caravane rentrant de Syrie et richement chargée de biens précieux serait attirée dans une embuscade par les partisans de Mohammad, en représailles contre la perte de leurs propriétés à la suite de leur exil hors de la Mecque. Pour toutes ces raisons, les Mecquois commencèrent à se mobiliser.
Le Prophète reçut d'autre part, des informations faisant état des activités des Mecquois. Aussi pensa-t-il qu'il n'était pas raisonnable d'attendre à Médine l'attaque de l'ennemi, car s'il en était réellement ainsi, cela causerait, des dommages aux habitants de la ville, lesquels en souffriraient sûrement. En outre, il présuma que les sympathisants des Mecquois à Médine même étaient plus nombreux que ses propres partisans, ce qui pourrait être très dangereux pour lui si le fait s'avérait exact. Il reçut également des informations selon lesquelles Abû Sufiyân, le plus implacable de ses ennemis, était sur le chemin de retour à la Mecque, avec ses trente gardes armés qui escortaient la caravane venant de Syrie, et il devrait passer par une route proche de Médine.
En conséquence, le Prophète se résolut à affronter l'ennemi hors de Médine et il sortit avec trois cent treize de ses partisans - quatre-vingt-deux Muhâjirin et deux cent trente et un Ançâif - les auxiliaires de Médine (dont soixante et un de la tribu d'Aws, et cent soixante-dix de la tribu de Khazraj).
Cette petite force fut conduite hors de Médine derrière la Bannière du Prophète portée par le jeune Ali1. De toute cette armée, seuls deux hommes étaient à cheval, les autres montaient à tour de rôle sur soixante-dix chameaux. 'Othmân ne put pas se joindre à l'armée, en raison de la grave maladie de sa femme, Roqayyah.
Lorsque l'armée arriva à la vallée fertile de Badr, un point d'eau et un terrain de campement sur la route des caravanes, à trois étapes au nord de Médine, le Prophète donna l'ordre d'y faire halte pour occuper une position convenable près d'un ruisseau d'eau fraîche, en attendant l'arrivée de l'ennemi, c'est-à-dire soit l'armée de Quraych, de la Mecque, soit Abû Sufiyân de la Syrie. Il apprit alors de ses éclaireurs que la caravane d'Abû Sufiyân s'approchait d'un côté, et que la grande armée des Quraych avançait de l'autre.
Pour réfléchir mûrement à la rencontre avec l'une ou l'autre force ennemie, le Prophète consulta ses principaux compagnons2, lesquels parurent peu disposés à faire face à la grande force armée de l'ennemi - trois fois plus nombreuse que la leur - et choisirent avec insistance et obstination de poursuivre la caravane. Mais leur courage fut ravivé et stimulé par les mots réconfortants du Prophète soulignant à leur intention le rôle de l'Assistance divine au moment de l'épreuve. Il préféra nettement l'exécution de l'ordre de Dieu d'engager le Jihâd contre le grand nombre de la force plus nombreuse des Mecquois infidèles, à la confrontation avec Abû Sufiyân et sa petite horde de partisans.
﴾Lorsque vous demandiez le secours de votre Seigneur, IL vous exauça: "JE vous envoie un renfort de mille anges, les uns à la suite des autres﴿ Sourate [al-Anfâl, 8:9].
Il était prudent de la part du Prophète de choisir cette voie, car Abû Sufiyân était suffisamment intelligent pour flairer préalablement ce danger imminent. D'autant plus qu'il se faisait informer de tous les mouvements de Mohammad et avait demandé une aide urgente de la Mecque. En outre, par mesure de prudence, il avait abandonné la route habituelle pour emprunter un chemin moins fréquenté, longeant le rivage de la mer, ce qui lui permit finalement d'éviter en toute sécurité le danger.
Les Mecquois, qui étaient déjà mobilisés, après avoir reçu l'appel à l'aide d'Abû Sufiyân dépêchèrent à son secours huit cent cinquante combattants d'infanterie et cent cinquante de cavalerie sous le commandement d'Abû Jahl. Bien qu'Abû Sufiyân les eût informés de son passage sain et sauf par une route détournée à l'ouest de Badr, et qu'il leur eût conseillé de retourner chez eux, Abû Jahl et son armée, obsédés par leur désir de venger le meurtre de Nakhlah, continuèrent leur marche jusqu'à Badr où ils prirent position en face du rassemblement ennemi.
Le lendemain, le Vendredi 17 Ramadhân de l'an 2 de l'Hégire (le 13 janvier 624 ap. J. -C.), ils firent lentement mouvement sur un terrain rendu lourd, boueux et difficile à piétiner, par les pluies de la veille. En revanche, ces mêmes pluies rendirent le sol des hauteurs sableuses, qui faisaient face à l'armée de Musulmans, plus léger et plus ferme, et donc plus facilement franchissable. Les forces mecquoises étaient victimes d'un autre désavantage, en occurrence le fait d'avoir le lever du soleil en face d'eux, alors que l'armée musulmane faisait face à l'ouest. Le principal corps de l'armée de Quraych, soufflant dans leurs trompettes, s'approcha cependant de l'adversaire et les deux forces s'engagèrent dans la bataille.
Le Prophète s'assit sous un dais formé de branches de palmier, qui fut dressé et gardé de près par Sa'd Ibn Mo'âth. Abû Bakr ne rejoignit pas les rangs des combattants; il s'assit auprès du Prophète.
Trois guerriers Quraychites, Otbah, le beau-père d'Abû Sufiyân, Walîd son fils et Chaybah, le frère de 'Otbah, s'avancèrent et défièrent les plus courageux des Musulmans de s'engager dans un combat en duel. Ils étaient tous trois des hommes de haut rang et de position élevée dans leur tribu.
Trois Ançâr de Médine sortirent des rangs de leur armée pour relever le défi, mais les trois combattants de Quraych refusèrent de les considérer comme leurs égaux et invitèrent les "renégats" mecquois (comme ils les appelaient) à s'avancer, s'ils en avaient le courage.
Sur ce, Ali et 'Obaydah, deux cousins du Prophète, et Hamza, son oncle, répondirent au défi, et le combat commença. Après une lutte féroce et longue, Ali et Hamza réussirent à maîtriser et à battre leurs adversaires respectifs, Walîd et Chaybah. Puis ils accoururent au secours de 'Obaydah qui était grièvement blessé et presque vaincu par 'Otbah. Ils abattirent ce dernier et ramenèrent Obaydah qui succomba à ses blessures quatre jours plus tard. A présent le combat faisait rage, les Quraych marquaient des points et les Musulmans subissaient beaucoup de pressions3.
Le Prophète, qui regardait le champ de bataille avec anxiété, pria Allâh de venir à son secours, et sortant du dais en chaume, il lança une poignée de sable en l'air en direction de l'ennemi en disant: «Que leurs visages soient couverts de honte», et s'adressant à ses hommes, il cria: «Courage mes enfants! Serrez vos rangs, lancez vos flèche! Ce jour est le vôtre». Les deux armées entendirent sa voix tonnante. Les combattants crurent voir des anges guerriers4.
Les lignes des Quraych devinrent défaillantes et un grand nombre parmi les plus braves et les plus nobles d'entre eux tombèrent. Ils prirent la fuite ignominieusement et, dans leur hâte de fuir, ils jetèrent leurs armes et abandonnèrent leurs bêtes de transport ainsi que tout leur campement et équipage. Soixante-dix des plus courageux des combattants de Quraych furent tués et quarante-cinq furent faits prisonniers5.
Leur commandant, Abû Jahl - le Pharaon de son peuple - tomba dans la bataille et sa tête fut apportée au Prophète. Son nom originel était Amr alias Abû Hakam, c'est-à-dire "Le père de la Sagesse", fils de Hichâm, mais les Musulmans le changèrent, par mépris, en Abû Jahl (le Père de la Déraison) et c'est ce dernier nom qui sera son nom pour toujours. Du côté musulman, il y eut vingt-deux tués: quatorze Muhâjirin et huit Ançâr (Dans la Sourate al-Anfâl, versets 9-13, il y a une allusion au secours divin accordé au Prophète dans cette bataille).
* source: www.sibtayn.com
1- Al-Tirmithî, al-Hâkim cité par al-Suyûtî, p. 173.
2- "Târîkh Ibn Wâdhih"; "Mas'ûdî".
3- "Mas'ûdî"; "Rawdhat al-Çafâ", "A'tham Kûfî".
4- "Târîkh Ibn Wâdhih": "Mas'ûdî".
5- "Abul-Fidâ'".