Abraham n’était ni juif ni chrétien mais il était un vrai croyant soumis à Dieu ; il n’était pas au nombre des polythéistes.
Les hommes les plus proches d’Abraham sont vraiment ceux qui l’ont suivi, ainsi que ce Prophète et ceux qui ont cru. - Dieu est le Maître des croyants -.
(Sourate 3, versets 67-68.)
Si Adam est considéré comme le père de l’humanité et Noé son sauveur, le Prophète Abraham représente le père du monothéisme. Il est un hanif, c’est-à-dire un homme immergé dans la Présence, imprégné par l’Unicité et totalement soumis à la volonté divine, en référence à la tradition primordiale. Il n’est ni juif ni chrétien et se situe au-dessus de tout esprit dogmatique. Il est au sommet de la pyramide, point de convergence du monothéisme dans ses nuances et sa diversité. Les religions monothéistes constituent une grande famille divisée en trois branches dont Abraham est l’aïeul. C’est par le retour à lui que ces trois familles spirituelles peuvent communiquer et dialoguer.
Abraham appartenait à sa communauté. Il vint à son Seigneur avec un cœur pur ; il dit à son père et à son peuple : « Qu’adorez-vous ? « Cherchez-vous, dans votre égarement, des divinités en dehors de Dieu ? « Que pensez-vous du Seigneur des mondes ? »
(Sourate 37, versets 83-87.)
A cette époque, les Assyriens et les Babyloniens étaient experts en astrologie. Des mages prédirent au roi la naissance d’un enfant qui professerait une nouvelle religion. Le roi décida alors de faire exécuter tous les enfants mâles nés cette année-là. Le père d’Abraham, vizir du roi, eut connaissance de cette décision et éloigna de la cité sa femme, qui donna naissance à Abraham dans une caverne.
Ce bébé était différent des autres... On dit que les anges veillèrent sur lui et lui apprirent à sucer son doigt pour recevoir une nourriture qui accéléra sa croissance. Quand il revint dans la cité, nul ne soupçonna son âge. Par ailleurs, il était doté d’une intelligence supérieure qui l’amena à s’interroger très jeune sur l’origine de la création.
Le chemin dans la lumière
Dans sa méditation et sa quête de la Vérité, Abraham, qui possédait le savoir de son temps, l’astrologie, contemplait la création et s’interrogeait sur ses origines. L’observation des étoiles, de la lune et du soleil le conduisit d’étape en étape, de découverte en découverte, à la vérité céleste. Au plan symbolique, les astres constituent son cheminement intérieur et ses états successifs dans la progression vers la réalisation, de l’étoile à la lune et au soleil, c’est-à-dire de la lumière la plus faible à la plus forte.
A travers l’expérience d’Abraham, tous les hommes en quête de Vérité pourront cheminer, d’état en état, jusqu’à la disparition des illusions par une purification intérieure. Ce qu’attestent clairement les versets 76 à 79 de la sourate 6 :
Lorsque la nuit l’enveloppa, il vit une étoile et il dit « Voici mon Seigneur ! » Mais il dit, lorsqu’elle eut disparu « Je n aime pas ceux qui disparaissent. »
Lorsqu’il vit la lune qui se levait, il dit : « Voici mon Seigneur ! » Mais il dit, lorsqu elle eut disparu : « Si mon Seigneur ne me dirige pas, je serai au nombre des égarés. »
Lorsqu’il vit le soleil qui se levait, il dit : « Voici mon Seigneur ! C’est le plus grand ! » Mais il dit, lorsqu’il eut disparu : « Ô mon peuple ! Je désavoue ce que vous associez à Dieu. Je tourne mon visage, comme un vrai croyant, vers relui qui a créé les cieux et la terre. Je ne suis pas au nombre polythéistes. »
Destruction des idoles
Puis il regarda attentivement les étoiles et il dit : « Oui, je vais être malade ! » et les gens lui tournèrent le dos.
Il se glissa auprès de leurs divinités et il dit : « Quoi donc ? Vous ne mangez pas ? Pourquoi ne parlez-vous pas ? »
Il se précipita alors sur elles en les frappant de sa main droite.
Les gens vinrent à lui en courant, il dit : « Adorez vous ce que vous avez sculpté, alors que c’est Dieu qui vous a créés, vous et ce que vous faites ? »
(Sourate 37, versets 88-96)
Son père était gardien du temple des idoles. Abraham l’interrogea en présence des prêtres : « Qu’adorez-vous ? Cherchez-vous dans votre égarement des divinités en dehors de Dieu ? Que pensez-vous du Seigneur des mondes ? ». Ces questions ébranlèrent profondément les convictions de l’assistance et semèrent le doute dans les cœurs.
Le comportement de ses contemporains asservis par l’idolâtrie et la corruption rendait malade cet homme au cœur pur. Lorsque les gens se dispersèrent, il resta seul et provoqua les idoles par cette question : « Vous ne mangez pas ? Pourquoi ne parlez-vous pas ? »
Ne recevant pas de réponse, il prit une hache de la main droite représentant l’autorité, la justice et la vérité, et décapita les idoles. La destruction accomplie, il mit la hache dans la main de la plus grande des idoles. Quand les gardiens du temple constatèrent le désastre, ils l’en accusèrent. Il répondit que c’était l’œuvre de la grande idole. Qu’on l’interroge ! Après une longue hésitation, ils dirent à Abraham que l’idole ne pouvait pas parler. Il leur dit alors : « Vous adorez ce que vous avez sculpté, alors que c’est Dieu qui vous a créés, vous et ce que vous faites ? »
La fournaise
Après le décès de son père qui le protégeait en dépit de leurs divergences, les prêtres décidèrent de le condamner.
Ils dirent : « Construisez pour lui une bâtisse et jetez-le dans la fournaise »
(sourate 37, verset 97).
La sentence allait donc être exécutée. Abraham devait subir l’épreuve comme tous ceux qui sont venus au cours des siècles défendre des idées généreuses et universelles. Il fut donc condamné au bûcher. Au moment où il entrait dans la fournaise, Gabriel lui apparut et lui demanda, de la part de Dieu, ce qu’il souhaitait. Abraham imperturbable répondit qu’il s’en remettait à Lui. Au même instant, le Très-Haut le nomma « Son ami », et dit au feu :
« O feu ! Sois, pour Abraham, fraîcheur et paix ! ».
Ils voulaient dresser des embûches contre lui, et nous en avons fait les plus malheureux des perdants »
(sourate 21, versets 69-70).
Pour que le décret divin se réalise, sous le bûcher jaillit une source qui préserva Abraham. Devant ce miracle, il fut libéré mais invité à quitter Ur et la terre babylonienne.
L’exil
L’exode d’Abraham commença. Il partit avec sa femme Sarah et ses compagnons, parmi lesquels Loth qui s’arrêta à Sodome. Le reste de la caravane traversa la Syrie, la Palestine et arriva en Égypte où la beauté de Sarah attira l’attention du pharaon qui en tomba amoureux. Mais, étrangement, chaque fois qu’il essayait de l’approcher, sa main était frappée de paralysie. A la première tentative, il s’arrêta stupéfait et renonça. La deuxième fois, le même phénomène se reproduisit. A la troisième, il demanda :
« Qui es-tu et qui est cette femme qui t’accompagne ? » Abraham répondit : « C’est ma sœur [dans la foi]. » Impressionné, Pharaon donna alors à Abraham tout ce dont il avait besoin et offrit à Sarah une servante nommée Agar.
Ils repartirent dans le désert. Un certain temps s’écoula et Abraham n’avait toujours pas de descendance. Sarah pensait qu’elle était stérile. Lassée d’attendre, elle finit par lui offrir sa servante afin qu’il puisse avoir un enfant. Ismaël naquit d’Abraham et Agar. Sarah devint alors extrêmement jalouse et pria Abraham d’éloigner Agar et son fils. Il emmena l’enfant et la mère dans un endroit désertique et aride, la vallée de La Mecque, où il revint de temps en temps les voir. Le rituel du pèlerinage musulman à La Mecque a pour origine cet événement. La jalousie de Sarah eut des conséquences positives que nous verrons plus tard. Même nos faiblesses peuvent avoir une répercussion déterminante sur le déroulement de l’histoire.
Zemzem et le destin d’Ismaël
Agar était restée seule avec son enfant dans ce pays de la soif. Ismaël était sur le point de mourir. L’enfant pleurait et sa mère affolée courait d’une colline à l’autre pour chercher du secours. En pleurant, Ismaël frappait le sable de ses talons si bien qu’une source en jaillit avec force et abondance. Pour la tempérer, Agar dit à la source : « zemzem », « calmement-calmement ». Cette source coule encore aujourd’hui à La Mecque, désaltérant et purifiant les pèlerins. La course éperdue d’Agar entre les collines de Safa et Marwa est réactualisée lors du rituel du pèlerinage.
Agar symbolise l’âme assoiffée de vérité. Elle a le même cheminement qu’Abraham qui cherchait la Vérité à travers les croyances de son temps, puis à travers l’astronomie et l’astrologie. Mais chaque fois qu’il croyait l’avoir atteinte, il se retrouvait insatisfait. La Vérité était encore au-delà. Telle Agar, l’âme dans sa quête court d’une hésitation à l’autre, d’une fausse certitude à l’autre, d’une question à l’autre, cherchant l’eau de Vérité dans la Source de la vie.
Cet événement de la vie d’Abraham a suscité cette question : comment un prophète peut-il abandonner dans le désert une mère et son enfant à cause de la jalousie d’une femme ? Aujourd’hui, cette histoire nous révèle son secret et éclaire ce mystère : la volonté divine a voulu cacher la descendance d’Abraham. Ceci est explicité clairement dans la Genèse.
Abraham est le père des grandes traditions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Il eut par la suite un autre fils avec Sarah : Isaac, qui donna Jacob et les douze tribus d’Israël.
Selon la version islamique de l’histoire, Dieu ordonna à Abraham de lui sacrifier son fils unique Ismaël au lieu dit Mina. Comme l’explique le Coran, c’est après le miracle du sacrifice que Sarah, stérile et d’un âge fort avancé, donna naissance à Isaac. Etonnée, elle dit aux anges venus annoncer à Abraham la nouvelle d’un héritier :
La femme d’Abraham se tenait debout et elle riait. Nous lui annonçâmes la bonne nouvelle d ’Isaac, et de Jacob, après Isaac.
Elle dit : « Malheur à moi ! Est-ce que je vais enfanter, alors que je suis vieille, et crue celui-ci, mon mari, est un vieillard ? Voilà vraiment une chose étrange ! »
Ils dirent : « L’ordre de Dieu te surprend-il ? Que la miséricorde de Dieu et ses bénédictions soient sur vous, ô gens de cette maison ! Dieu est digne de louange et de gloire ! »
(Sourate 11, versets 71-73.)
Cette lignée est celle de Moïse jusqu’à Zacharie, et enfin Marie qui donnera naissance à Jésus. Mais ce dernier n’a pas d’enfants. La lignée d’Ismaël prend alors le relais. Comme une graine mystérieusement cachée, les fils d’Ismaël vivaient au milieu d’un désert que personne n’avait pu posséder, ni les Byzantins ni les Perses, bien qu’il fût un point d’eau incontournable, un carrefour caravanier important, un sanctuaire et un lieu de pèlerinage réputés. D’Ismaël naîtra, après plusieurs générations, Mohammed, le lien entre les deux ascendances
L’épreuve du sacrifice
Dans le désert mecquois, Abraham vit en songe qu’il devait sacrifier son fils. Au réveil, il lui raconta sa vision. Ismaël, serein, dit à son père : « Fais ce qui t’est ordonné, évite de te salir de mon sang afin que ma mère l’ignore. » Ils partirent tous deux vers la plaine de Mina où devait avoir lieu l’immolation. En cours de route, Satan tenta par trois fois de le dissuader. Pour éloigner le diable, Abraham lança des pierres dans la direction de la voix.
Quelle épreuve dure et pénible que d’immoler son propre fils pour obéir à l’ordre divin ! Un fils unique qu’il a attendu si longtemps et qui hériterait de son enseignement spirituel ! Et pourtant Abraham n’hésite pas un instant. Son amour de Dieu est plus fort que sa souffrance. L’ordre sera exécuté car il sait que le Divin connaît ce qui échappe à l’entendement humain. A l’instant où, dans une soumission parfaite, il allait égorger son fils, la voix de Dieu arrêta son geste : « O Abraham, tu as été fidèle à ton songe, rachète ton enfant avec le mouton que voici. » Il prit la bête et l’immola en signe de gratitude et de remerciement.
Cette épreuve atteste la profondeur de l’attachement d’Abraham à Dieu.
Si nous croyons aimer un être, aimons-le en Dieu. Celui que nous aimons parce qu’il nous aime, nous ne faisons que lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais si nous sommes capables d’aimer les autres, jusqu’à nos propres ennemis, nous avons plus de mérite et l’amour devient alors libérateur. Si j’aime une personne en Dieu et que demain elle me déçoit, mon cœur sera apaisé car c’est Dieu que j’ai aimé à travers elle. Quant aux êtres disparus, si nous continuons à les aimer en Dieu, ils resteront toujours vivants dans nos cœurs car Dieu est l’éternel Vivant.
Depuis ce jour, les pèlerins musulmans sacrifient le mouton le jour de la fête de l’Aïd et lapident à trois reprises Satan à Mina, après les sept circumambulations autour de la Ka’ba (reconstruite par Abraham et Ismaël) et les sept va-et-vient d’Agar entre les collines de Safa et Marwa.
Le symbole du sacrifice se retrouve dans les trois traditions, évoquant ainsi le souvenir de leur appartenance commune à ce père unique : Abraham. Par cette offrande du fils, Dieu racheta à Abraham toute sa descendance qui lui fut désormais totalement consacrée. Ses enfants appartiennent à Dieu, et de leur descendance seront issus tous les prophètes.
L’itinéraire d’Abraham représente tout le symbole, la densité et l’harmonie du monothéisme. Elle recèle en elle toutes les clefs d’accès à la compréhension des trois grandes religions du Livre. Le premier élément du message est le cheminement vers la Vérité en partant du niveau des étoiles, qui représentent les initiés dépositaires de la connaissance, à celui de la lune, qui signifie le guide spirituel ou le pôle (el qutub) de la Connaissance, afin d’arriver au soleil, qui symbolise le prophète-messager. Le parcours d’Abraham est l’archétype des étapes de l’initiation pour revenir à la perfection adamique avant son voilement par la désobéissance.
Le deuxième élément du message est l’amitié dans l’intimité de Dieu et de l’homme. Désormais Il n’est plus adoré dans l’éloignement de la majesté écrasante, mais dans l’intimité secrète de la proximité du cœur.
La résurrection
Le dernier élément, celui de la résurrection, réside dans l’interrogation d’Abraham à Dieu :
« Mon Seigneur ! Montre-moi comment tu rends la vie aux morts. » Dieu dit : « Est-ce que tu ne crois pas ? » Il répondit « Oui, je crois, mais c’est pour que mon coeur soit apaisé. »
(Sourate 2, verset 260.)
Dans la tradition islamique, on situe ce récit à la fin de la vie d’Abraham, qui croyait en la résurrection mais voulait en connaître le secret. Alors Dieu lui envoya l’ange de la mort à qui il recommanda de ne prendre l’âme d’Abraham qu’avec son consentement. Embarrassé, l’ange prit la forme d’un vieillard en pleine décrépitude. Celui-ci demanda l’hospitalité à Abraham qui le fit entrer et lui présenta un repas. Voyant que le vieillard était incapable de porter la nourriture à sa bouche, le prophète lui demanda son âge. « Je suis bien plus vieux que toi », répondit le visiteur. Devant ce spectacle affligeant, Abraham souhaita ne pas en venir à une telle décrépitude et accepta la mort.
Mais il en ignorait toujours le mystère et la certitude intérieure par la Connaissance. Dieu lui dit alors de prendre quatre oiseaux d’espèces différentes, de les tuer, de les découper et d’en éparpiller au loin les morceaux. Un vent se leva qui les réunit dans les quatre formes initiales. Cette histoire révèle que même si le corps est totalement dispersé, une force surnaturelle est capable d’en réunir tous les atomes pour reconstituer la forme originelle, comme si chaque particule reconnaissait sa propre constitution. Là résident toute la puissance et le mystère de l’ordre divin « Sois ! ».