La Révolution en Iran prit la plupart des occidentaux par surprise. Les
gouvernements comme les opinions publiques se félicitaient généralement de voir
dans ce pays (selon le mot du président Carter) « une île de stabilité » dans
une région instable et agitée. Pourtant, le soulèvement qui balaya le shah pour
le remplacer par un gouvernement islamique dominé par son ennemi mortel,
l’ayatollah Khomeiny, ne fut pas une explosion soudaine et imprévue. Il
constitua simplement, comme j’espère le montrer ici, le dernier épisode d’un
long processus historique. Ce mouvement trouva son origine dans l’héritage
national et religieux du peuple iranien, éclata puis avorta en 1950-1953 lors de
la crise de la nationalisation du pétrole par le Dr Mossadeq et chemina ensuite
souterrainement jusqu’à son éruption finale, en 1978-1979.
Dans cette dernière phase, cependant, le Révolution iranienne prit une dimension
excédant de beaucoup son cadre local, pour intégrer les facteurs mêmes qui
domineront probablement l‘actuelle décennie : la résurgence de l’islam, le
problème de l’énergie, la nouvelle distribution des richesses dans le monde et
la rivalité des superpuissances. Or, tous se combinent pour faire du Golfe le
centre de gravité de la planète. Ce qui se passe en Iran nous affecte donc tous
: de sorte qu’il n’est pas aberrant de rependre ce que Napoléon a dit un jour de
l’Egypte : qu’il est « le pays le plus important ».
Mon intérêt pour l’Iran remonte loin. Jeune journaliste, je devins correspondant
itinérant pour le Moyen-Orient du journal cairote Akhbar el-Yom, l’une de mes
premières grandes missions fut de « couvrir » la crise iranienne du pétrole en
1950-1951. Je passai plusieurs mois dans le pays, le visitant en tous sens et
rencontrant tous les chefs politiques du temps : depuis Seyyid Ziauddin
Tabatabai jusqu’à Ghavam es-Sultaneh, sans oublier, bien entendu, le Dr Mossadeq
et son ardent supporter, le grand religieux chiite de l’époque, l’ayatollah
Kashani. C’est alors que j’eus le premier de mes nombreux entretiens avec le
Shah et que je fis la connaissance de sa sœur jumelle, la princesse Achraf, dont
le premier mari, Ahmed Shafigh, devint mon ami. De cette expérience, je tirai
mon premier livre, l’Iran sur un volcan qui parut en arabe en 1951 et fut
quelque chose comme un best-seller. Un premier livre est comme un premier amour
: on y songe avec tendresse et on ne l’oublie jamais. Peut-être est-ce pourquoi
depuis trente ans je n’ai cessé de suivre les événements d’Iran avec un intérêt
particulier.
(…) Il y eut un moment, après la guerre israélo-égyptienne de 1967, où je me
trouvai associé à la définition de notre politique à l’égard de l’Iran. Nous
étions nombreux, en effet, dans cette conjoncture, à sentir l’urgence d’une
nouvelle donne au Moyen-Orient : non seulement pour mettre un terme aux
rivalités interarabes, mais pour rassembler tous les Etats musulmans de la
région. Notre querelle avec l’Iran, qui remontait à l’époque du pacte de Bagdad
et avait entraîné la rupture de nos relations diplomatiques, nous apparaissait
désormais dépassée. A ce moment-là, d’ailleurs, le Shah me fit parvenir un
message amical, par l’intermédiaire d’Abbas Massoudi, propriétaire éditeur du
grand journal de Téhéran, Eteelat. Massoudi, qui était vice-président du Sénat,
vint au Caire en 1968, puis en 1969. Après de longues discussions, nous pûmes
mettre au point les modalités du rétablissement de nos relations diplomatiques,
allant même jusqu’à rédiger un projet de communiqué. J’aime à penser que j’ai
contribué à convaincre le président Nasser de la sagesse de cette initiative qui
a abouti heureusement, peu avant sa mort, en septembre 1970. Le Shah m’avait
souvent invité à venir à Téhéran, et je finis par accepter, en 1975. J’eus ainsi
de longues conversations tant avec lui qu’avec le Premier ministre Amir Abbas
Hoveyda ainsi qu’avec Jamshid Amouzegar, qui devait lui succéder deux ans plus
tard, le général Nematoullah Nassiri, chef de la SAVAK, de triste réputation, et
bien ‘autres encore. Je m’arrangeai aussi pour rencontrer des opposants au
régime, notamment de nombreux étudiants, de droite comme de gauche.
Trois ans plus tard, je retrouvai le drame iranien en un autre lieu, avec un
autre auteur. Comme j’étais à Paris, en décembre 1978, des membres de
l’entourage de l’Ayatollah Khomeiny m’invitèrent à rencontrer l’exilé dans son
petit pavillon de Neauphle-le-Château. Je passai ainsi plusieurs heures à
discuter avec lui, en tête-à-tête, des sujets les plus variés. Je devais revoir
Khomeiny une seconde fois, après son triomphal retour à Téhéran, et à nouveau je
passai presque tout un jour, à Qom, à m’entretenir avec lui. Je parlai aussi
avec Ahmed, son fils et principal collaborateur, et avec son petit-fils Hussein,
autre membre influent de son entourage. Durant le même séjour, j’eus la chance
de rencontrer tous les membres du Conseil révolutionnaire, dont Abolhassan Bani
Sadr, qui devait devenir pendant plus d’un an le premier président de la
République iranienne, et la plupart des leaders religieux, politiques et
militaires liés au nouveau régime. J’eus également de longues discussions avec
les étudiants qui occupaient l’ambassade américaine. Le Premier ministre, Mehdi
Bazargan, me reçut dans le magnifique bureau où j’avais vu jadis Hoveyda : mais
à l’immense table circulaire de son prédécesseur, il en préférait une plus
ordinaire qu’il avait installée, avec des chaises, dans un angle de la pièce.
Et il tint à me lire d’importants extraits du journal qu’il avait tenu à la fin
de l’ancien régime. Je ne suis pas moins reconnaissant à Ibrahim Yazdi, alors
adjoint au premier ministre pour les affaires révolutionnaires : il me
communiqua d’importants documents concernant le règne de Shah, et qui éclairent
beaucoup les derniers événements.
Peu après la Révolution, je me trouvai moi-même directement mêlé aux affaires
iraniennes. Dans mon chapitre xv, je raconte comment j’en arrivai à être associé
aux négociations pour la libération des otages américains. Et puisque ce récit
s’ouvre sur ma visite à l’ambassade américaine occupée, il est normal qu’il
s’achève avec la libération de ces otages. La scène iranienne, depuis quarante
ans, a été d’une extraordinaire complexité. Je ne prétends pas, dans ce livre,
avoir pu faire davantage que dégager quelques-uns des éléments- les mouvements,
les gens les événements- qui contribuèrent à la modeler. Mais j’espère y avoir
fait passer un peu de la fascination que ce pays a toujours exercée sur moi, et
y expliquer de façon cohérente ce qui semble encore à beaucoup une
incompréhensible explosion politique. (…)
L'Ayatollah
Khomeiny mène le jeu
Tout était prêt maintenant, en Iran, pour qu’entre en scène l’homme qui mettrait
le feu à ces barils de poudre, afin d’en provoquer l’explosion. Ce ne pouvait
être qu’un religieux, et il était peu probable qu’il surgît, inconnu, du désert.
De fait, il existait, disponible, en la personne de l’ayatollah Ruhollah
Khomeiny. Khomeiny était né Ruhollah Musawi, en 1902 le 20 du mois de Jumad, qui
est aussi le jour anniversaire de la naissance de Fatima, fille du Prophète,
laquelle devint la femme d’Ali, puis la mère d’Hassan et d’Hussein : une date,
donc, d’excellent augure. Il naquit dans le village de Khomein, à quelque 130
kilomètres au sud-ouest de Qom, où son père, Mustapha Mussawi était mollah. (Les
ayatollahs prennent toujours le nom de la ville ou de du village d’où ils
viennent). Quelques mois seulement après la naissance de Ruhollah, son père
était blessé à la tête et tué par les gardes d’un riche propriétaire terrien
parce qu’il avait pris la défense de ses fermiers (1).
La mère du jeune Mussawi étant morte à son tour en 1918, l’adolescent alla vivre
chez son frère aîné, Basendidah Musawi, qui était déjà et vit encore aujourd’hui.
Ruhollah s’inscrivit au hawza d’un célèbre mollah de la ville d’Arak, à 50
kilomètres au nord de Khomein, l’ayatollah Abdel Karim el-Ha’iri. En 1922, el-Ha’iri
décida de transférer son hawza à Qom, et tous ses élèves, dont e jeune Ruhollah
Musawi, l’accompagnèrent. Ce fut le premier contact du futur ayatollah avec la
ville à laquelle son destin devait être si étroitement associé. Comme le jeune
étudiant, assez impécunieux, n’avait aucun endroit pour vivre, il logeait dans
la mosquée même où se tenait le hawza, en étendant son doshak (couverture) sur
le sol. (il a toujours,depuis, dormi sur un doshak et non dans un lit). Il
acheva normalement le premier cycle de ses études, passant le diplôme dit
Mahallet es-sutuh et-aliyah (les hautes toitures) et commença d’assister son
maître, en se spécialisant dans la philosophie islamique et la logique. Il se
lança aussi dans un cours sur l’éthique, (akhlaq), mais la police de Reza Shah y
mit fin, sous prétexte qu’il s’y mêlait des éléments politiques.
Dans le hawza de Ha’iri, Ruhollah Musawi avait un ami nommé Mohammad el-Thaqaf :
un chiite de Taïf, au Hedjaz. C’était un homme plus âgé, déjà marié et père
d’une fille appelée Khadidjah, comme la première femme du prophète. Quand elle
eut quatorze ans, Ruhollah, qui en avait vingt-cinq, la demanda en mariage. Ils
ne s’étaient jamais rencontrés, mais elle avait entrevu Ruhollah, un jour où il
était venu dans leur maison. Quand elle apprit sa demande, elle protesta. Elle
ne voulait pas épouser un mollah, mais un fonctionnaire du gouvernement, et
aller vivre à Téhéran. Mais la nuit qui suivit son refus, si on l’en croit, elle
eut un rêve. Elle vit très distinctement le prophète Mohammad, Ali et Fatima. Il
y avait aussi une femme d’un certain âge qui lui dit, en montrant les autres du
doigt : « Aucun d’eux ne t’aime » Elle demanda pourquoi. « Parce que tu as
refusé leur fils, Ruhollah », répondit la femme au matin, Khadijah dit à son
père qu’elle acceptait de se marier.
Ainsi se marièrent-ils. Leurs trois premiers enfants, un garçon nommé Ali, et
deux filles, Latifa et Karima, moururent. Ils eurent alors deux autres fils et
trois filles : l’un des fils, Mustapha fut tué par le Savak en 1977 ; l’autre,
Seyyed Ahmad Khomeiny, est aujourd’hui le principal assistant de son père.
Mustapha laissa un fils Hussein, enfant chéri de son grand père, dont il est
devenu aussi un collaborateur, et une fille, Miriam. Les trois filles de
Khomeiny ont toutes épousé des mollahs qui travaillent, à un titre ou à un autre,
dans l’état-major de Khomeiny. Farida est marié à l’ayatollah Aradi, Sadiqa à
l’hodjatoleslam Ishraki, qui était en France avec Khomeiny, et Fatima à
l’ayatollah Bargroudi, fils de l’ancien ayatollah al-uzma, que le Shah voulait
remplacer par un des chefs religieux de Nadjaf. Khomeiny a maintenant treize
petits-enfants, huit fils et cinq filles. L’épouse de Khomeiny est une femme
d’une grande force de caractère, pleine de charme et d’énergie. En 1963, quand
Ruhollah fut déporté de Qom et conduit à la frontière turque, il lui demanda de
ne pas chercher à le suivre ; mais elle ne l’écouta pas et le rejoignit à Nadjaf.
Puis elle l’accompagna de Nadjaf en France ; contrairement à son mari, qui se
rendit directement à son lieu d’exil de Neauphle-le-Château et ne mit jamais les
pieds à Paris, elle visita plusieurs fois la capitale, y vit tout ce qu’il
fallait y voir et s’en montra enchantée.
Khadîdja fait aussi la cuisine pour l’ayatollah. Ses habitudes sont régulières
et ses menus très simples. Il se lève vers cinq heures du matin, pour la prière
de l’aube, puis retourne dormir un peu. Son petit déjeuner- du pain et une
soucoupe de miel- est disposé par Khadîdja près de son doshak. A onze heures, il
pend un petit jus de fruit, généralement d’orange et à midi de la viande
bouillie avec un peu de riz qu’il mange à la cuiller, le seul instrument qu’il
utilise. Il apprécie particulièrement les pastèques jaunes d’Iran. Après le
déjeuner, il fait un petit somme, puis se réveille pour la prière de l’après
midi et continue jusqu’après minuit en réglant des affaires ou en recevant des
visiteurs. Khomeiny ne fume pas et ne se sert jamais du téléphone ; il ne fit
qu’une exception, lors de son séjour en France, quand il apprit que son frère
Basandidah, très malade, souhaitait entendre sa voix. Son frère aîné habite
maintenant, dans une nouvelle rue voisine, la petite maison qu’il habitait
lui-même avant d’arriver au pouvoir. Il s’est installé, quant à lui, dans une
nouvelle résidence : une des quatre maisons d’un étage groupées de chaque coté
d’une rue. Deux d’entre elles abritent les bureaux de son secrétaire et mollah
personnel, ses gardes du corps, etc. des deux autres, en face, l’une est occupée
par section de gardiens de la Révolution, la seconde est celle de l’ayatollah.
On y trouve une salle de réception d’environ cinq mètres sur sept mètres et demi,
avec, sur le sol, un tapis d’un bleu indéfini et au plafond des projecteurs qui
font penser à un studio de télévision. De là, on passe dans trois minuscules
pièces privées et une petite cuisine. L’une de ces pièces est la chambre de
Khadîdja ; une autre est à la disposition de tout membre de la famille qui le
désire ; la troisième est celle de Khomeiny. Toutes ses possessions terrestres,
à ce que j’ai pu voir, se limitent à son doshak et à un coffre pour ses
vêtements. Comme faqih-un docteur de la loi qui a apporté sa propre contribution
à la jurisprudence (fikh)-, Khomeiny est l’auteur de plusieurs livres, dont les
plus importants sont la Libération des moyens et le gouvernement islamique. Son
cerveau fonctionne bien, mais ses idées sont simples.
Il voit l’Islam comme un tout, comme une unité, et en parle souvent comme d’une
force internationale. Tous les gouvernements, dans le monde musulman, qui
s’écartent des règles du Coran, il les dénonce comme shirk (hérétiques) et leurs
dirigeants comme des taghuti (tyrans). Aux yeux de Khomeiny, l’islam est pour un
huitième une affaire de prières et de cérémonies, et pour sept huitième une
question de principes et d’organisation- celle-ci ayant pour but d’amener les
hommes à comprendre deux étapes : d’abord la takhliya, qui liquide les idées et
les pratiques dépassées ; d’abord la tahliya, processus d’assainissement qui
introduit les idées nouvelles. Parmi celles que doit éliminer la takhliya, l’une
des plus importantes est la tuqi’a : il s’agit d’une pratique de déguisement ou
tromperie dont les chiites avaient eu besoin pour se protéger de la persécution
au temps des Omeyyades mais qui, insiste Khomeiny, est devenue une mauvaise
habitude que rien ne justifie plus. La seconde étape (tahliya), explique
Khomeiny à ses disciples, sera plus difficile que la première (takhliya), car
elle implique changement et innovation. Mais les nouveaux éléments les réponses
aux situations nouvelles, devront être atteints par l’ijtihad, ou formation de
l’opinion par les fuqaha, (pluriel faqih).
Les imams, pense Khomeiny sont issus de la lumière de Dieu et tiennent un rang
auquel ne peuvent prétendre ni les monarques temporels ni même les anges. Les
faquha sont les représentants des imams et, parce qu’ils connaissent la loi
mieux que quiconque, ils sont capables d’agir à la place de l’imam en absence.
Ils peuvent faire fonction aussi bien d’interprète que d’exécuteur de la loi : «
L’encre de la plume des fuqaha est aussi sacrée que le sang des martyrs. » En
temps où les problèmes qu’affrontent les gouvernants sont sans commune mesure
avec ce qu’ils pouvaient être il y a dix ou treize siècles, s’en remettre pour
tout aux fuqaha paraît quelque peu naïf. Quand je vis Khomeiny à Paris, je lui
demandai comment un faqih pouvait traiter, par exemple, des problèmes de
l’économie ou de l’espace. « Que sait le roi Khaled de l’espace ? Me répondit-il.
Que connaissent de l’économie tous ces militaires qui ont pris le pouvoir dans
le monde arabe ? Un faqih, au moins, comprend les lois de Dieu, mais ces gens ne
comprennent ni les lois de l’homme ni celles de Dieu. » Khomeiny rejette les
critiques de ceux qui voudraient voir les religieux ne pas se mêler de politique.
Le prophète Mohammed, demande-t-il, s’est-il gardé de la politique ? S’il
n’avait été que le messager de Dieu, il aurait révélé aux hommes le Coran, livre
de Dieu, puis aurait disparu. Mais Dieu lui avait ordonné de combattre et de
construire.
Il organisa la société et se fit le juge de la communauté. Il mena des armées au
combat, envoya des ambassadeurs et signa des traités. Vouloir séparer la
religion du gouvernement des hommes n’a pas de sens. Cela, dit Khomeiny, c’est
ce que voudraient les impérialistes. Ils veulent nous persuader que la religion
n’est qu’affaire de théologie. Durant la première Guerre mondiale, raconte-t-il,
quand les Britanniques entrèrent en Irak, ils interdirent toutes les
manifestations. Un jour, quelqu’un vint dire au général commandant qu’il y avait
des gens qui criaient, du haut du minaret d’une des mosquées. « Si c’est tout ce
qu’ils font, répondit le général, ils peuvent le faire jusqu’à la fin du monde.
Laissez-les dans leurs mosquées et crier du haut des minarets. »
Lors d’une de nos conversations, Khomeiny me raconta aussi qu’après son
arrestation, en 1963, tandis que qu’il était en prison à Téhéran, un envoyé du
Palais vint le voir et lui demanda pourquoi il se mêlait de politique : « La
politique n’est que tricherie, mensonge et hypocrisie, dit le messager, vous
feriez mieux de nous laisser. » Khomeiny répliqua que c’était probablement vrai
de leur politique, mais non d’une vraie politique islamique. Après cet entretien,
ajoute Khomeiny, l’agent du Palais envoya une déclaration à la presse, disant
que son interlocuteur était convenu qu’il fallait séparer la religion de la
politique, et laisser celle-ci aux politiciens. Mais, à son arrivée à Nadjaf,
l’ayatollah publia un démenti : « C’est cet homme, déclara-t-il, qui aurait dû
être envoyé en exil, et non moi. » Les écrits et les discours de Khomeiny
rendent un son étrange aux oreilles étrangères, parce qu’une partie de son génie
tient à l’usage qu’il fait des phrases du Coran. Celles-ci parlent immédiatement
aux musulmans. J’ai déjà signalé son emploi des mots taghuti (tyrans) et
mustazafin (les humiliés). Il se sert d’autres mots coraniques pour opposer les
mustaqbirin, les vaniteux et arrogants, aux mahrumin, les déshérités. Quand des
fonctionnaires du régime impérial, traduit en procès, se virent accusés d’être
des « soldats de Satan », certains journaux occidentaux trouvèrent l’expression
légèrement ridicule, mais elle résonne familièrement pour les musulmans.