Si l’on veut un exemple du degré
que put atteindre l’influence de Khomeiny, je citerai ma rencontre, à Téhéran,
avec une princesse Qadjar mariée à un ancien ambassadeur. Elle était
complètement aphone, et je lui demandai comment cela lui était arrivé. Elle
m’expliqua qu’elle avait passé un quart d’heure, la veille au soir, à crier des
slogans contre le Conseil de Sécurité « parce que l’imam nous l’avait demandé ».
Et d’ajouter, pour se justifier : « je ne suis pas une taghuti, je suis une
mustazaf. » Cela, venant d’une personne dont toutes les terres et un palais près
de Téhéran venaient d’être confisqués par la Révolution. Khomeiny se situe dans
le droit fil de la tradition chiite populaire. Il répète souvent ce qu’on tient
pour le testament laissé par Ali à ses fils Hassan et Hussein : « Soyez toujours
les protecteurs de l’opprimé et l’ennemi de l’oppresseur. ». Or ce testament,
pense-t-il, au-delà de ses premiers destinataires vaut pour tous les imams et
pour les fuqaha qui les représentent. Et c’est une mission que les fuqaha
peuvent remplir parce qu’ils ne doivent rien à personne, qu’ils sont
financièrement indépendants, sans, motivations secrètes, ni aucune des
préoccupations des monarques qui doivent maintenir l’Etat, défendre le pays et
garder le trône pour leurs héritiers.
A bien des égards, les idées de Khomeiny sont extrêmement avancées. Dans son
livre, le Gouvernement islamique, il traite de sujets comme l’impérialisme,
l’exploitation et l’influence de l’Amérique en de termes très modernes, tout en
l’introduisant par un verset approprié du Coran : « Quand les rois entrent dans
un village, ils pillent, le saccagent et réduisent ses honorables habitants en
esclavage. »
Dans ce livre, comme ailleurs, il développe ses principaux thèmes :
l’hostilité aux Etats-Unis qu’il tient pour l’ennemi majeur de l’Iran, et la
haine pour le sionisme et Israël. Il estime aussi qu’une partie de l’argent
versé à l’imam devrait aller aux Palestiniens : ce qui n’est pas pour déplaire
aux Arabes. Une des caractéristiques de Khomeiny, et l’une des raisons de sa
popularité, est qu’il n’a jamais été provincial. Il essaya toujours de
s’adresser aux gens non simplement comme ayatollah chiite, voire comme un
iranien, mais comme un leader musulman à même de parler avec autorité à tous les
musulmans. L’islam, dit-il, libère l’homme dans tout ce qu’il fait, dans sa
personne, dans sa réputation, dans son travail ; là où il vit et là où il mange,
pourvu qu’il ne fasse rien de contraire à la loi islamique. La Sharia.
Telles étaient les idées essentielles que nourrissait Khomeiny quand il arriva
venant de Qom, à Nadjaf. Bien qu’il eût été contraint d’abandonner son hawza, il
le considérait toujours comme sien et, de Nadjaf, il prit l’habitude d’envoyer
chaque semaine à ses élèves une leçon enregistrée sur cassette. Ses élèves se
réunissaient pour l’écouter et, petit à petit, des auditeurs étrangers à l’hawza
vinrent écouter aussi. Dans le même temps, les messages de Khomeiny s’écartaient
de la théologie et devenaient de plus en plus politiques. Puis on se mit à
transcrire les cassettes, à les copier et à les diffuser hors de Qom, à Téhéran
et dans le reste du pays. Ces messages furent baptisés i’ilmiyahs, c’est-à-dire
communiqués -littéralement : « je vous informe. » Selon le mot de quelqu’un, ce
qui se passait était « une révolution pour la démocratie, contre l’autocratie,
conduite par la théocratie et rendue possible par le Xénocrate ». Ou, comme
l’observa un moment qu’il fallait, pour dire dès qu’il fallait.
De son exil à Nadjaf, Khomeiny commença à devenir le centre d’attention de tous
les opposants au régime du Shah, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
Quelques-uns de ceux qui détiendraient plus tard des postes importants dans les
gouvernements postrévolutionnaires, comme Ibrahim Yazdi et Sadegh Ghotbzadeh,
abandonnèrent alors leurs études en Amérique pour aller à Nadjaf offrir leurs
services à l’ayatollah. A Téhéran, des politiques de l’opposition prirent
contact avec lui, notamment Mehdi Bazargan. En 1974, Khomeiny étant encore à
Nadjaf, à une époque où les relations entre Téhéran et Bagdad étaient
particulièrement tendues, le président irakien Ahmed Hassan el-Bakr lui envoya
son gendre pour lui proposer de soutenir sa campagne contre le Shah. Mais
Khomeiny refusa. Il ne sentait pas le moment venu et cita le prophète : « Il y a
un temps pour tout. » Les Irakiens l’accusèrent d’avoir peur mais c’était
injuste ; il savait que le temps viendrait pour mener l’assaut, contre le régime
du Shah, mais il entendait choisir lui-même son heure, sans coopérer avec qui
que ce fût.
En 1977, la querelle entre Téhéran et Bagdad s’était apaisée, et comme les
activités de Khomeiny préoccupaient beaucoup le Shah et la Savak, celui-là fit
approcher Saddam Hussein, le leader irakien. Le Shah rappelait qu’en vertu de
leur accord de mars 1975, l’Irak et l’Iran s’étaient engagés à ne pas s’ingérer
dans leurs affaires intérieures respectives, et que les activités de Khomeiny
contrevenaient évidement à cet accord. On envoya donc à Khomeiny le directeur du
Renseignement Saadoun Shakir (futur ministre de l’intérieur) pour lui dire que,
le Shah invoquant cet accord de 1975, il lui fallait arrêter son « agitation »
ou quitter le pays. Après quelques discussions, Khomeiny choisit de partir. Mais
quand le Shah l’apprit, il changea d’avis. Il se rendait compte que Khomeiny
serait plus dangereux à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Irak. Aussi
demanda-t-il qu’au lieu d’expulser Khomeiny, les irakiens l’empêchent de
poursuivre sa campagne contre le shah. Saddam Hussein répliqua que cela, il ne
pouvait le faire.
Avant que n’intervînt son expulsion, Khomeiny vécut une tragédie personnelle.
Son fils aîné, Mustafa, avait été l’un des principaux courriers entre
l’ayatollah et ses partisans en Iran. En septembre 1977, la Savak lui tendit une
embuscade et le tua. (Cela ne fait pas de doute, car sa mort fut immédiatement
suivie d’une vague d’arrestations de gens dont les noms avaient du être trouvés
grâce aux lettres qu’il transportait.) Certains ont voulu voir dans la
Révolution iranienne, ou du moins dans la part qu’y prit Khomeiny, une vengeance
personnelle pour l’assassinat de Mustafa, mais ce n’est évidemment pas vrai. Le
mouvement révolutionnaire, au moment de la mort de Mustafa, avait déjà acquis
une force presque irrésistible.
Le deuil pour Mustafa fut l’occasion de manifestations de dévouement à Khomeiny
et d’hostilité au Shah. Des milliers de personnes essayèrent de gagner Nadjaf
pour se joindre au majlis el-a’aza et compatir avec le père, mais ils en furent
empêchés par la police. Ils répliquèrent en tenant leurs propres majlis el-a’aza
à Téhéran, Qom, Tabriz et Ispahan. Chaque jeudi, le majlis el-tahrim pour
Mustafa fut célébré de la même manière avec une grande émotion. Mais, au début
de novembre, à l’occasion du majlis el-arba’in, le dernier jour du deuil,
Khomeiny dit à ses partisans : « Nous avons versé assez de larmes. Nous avons
évoqué maintes fois le souvenir de mon fils. Vous avez maintes fois offert vos
condoléances à nous et à l’imam. Mais à partir de maintenant, je n’accepterai
plus de condoléances. Ce qu’il faut désormais, c’est agir. » Dans son dernier
i’ilamiyah envoyé de Nadjaf, Khomeiny donna quatre instructions. Ses partisans
devaient : boycotter toutes les institutions gouvernementales, car ce
gouvernement ne pouvait plus prétendre être un gouvernement islamique ; cesser
toute forme de coopération avec ledit gouvernement ; ne participer à aucune
activité qui pourrait bénéficier au gouvernement ; et créer dans tous les
domaines—économique, financier, judiciaire, culturel, etc. — de nouvelles
institutions islamiques. Les fetwas des oulémas sont aussi sacré que le sang des
martyrs. (…)
Khomeiny arriva en France le 6 octobre 1977 et s’installa à 30 kilomètres à
l’ouest de Paris, dans la petite maison de Neauphle-le-Château qui devait
demeurer son quartier général jusqu’à son retour définitif en Iran (…) Khomeiny
connaissait bien l’impact de ses i’ilamiyahs dans le pays. Le peuple y
réagissait sans équivoque et il ne doutait pas de confiance. Le problème n’était
pas d’entraîner l’opinion ; il était de vaincre les forces de répression à la
disposition du Shah. La Savak ne préoccupait pas particulièrement Khomeiny :
elle comptait 50000 agents, mais que pouvaient ces 50000 agents contre
trente-cinq millions ? Bien avant de quitter Nadjaf, Khomeiny en était venu à la
conclusion que le vrai problème était celui de l’armée.
L’armée du Shah comptait 700000 hommes qu’il fallait, d’une manière ou d’une
autre, trouver le moyen de neutraliser. Des mouvements clandestins, comme les
Moudjahidin Khlak ou les Fedayin Khalk, parlaient de résistance armée, de même
que certains proches de Khomeiny. Ibrahim Yazdi devait me décrire plus tard
l’atmosphère de Neauphle-le-Château à cette époque. Il m’expliqua comment
lui-même et ses camarades formés en Occident travaillaient comme ils avaient
appris à le faire : ils préparaient des notes de synthèse qu’ils soumettaient
pour approbation au majlis quotidien de l’ayatollah. Beaucoup de ces notes
traitaient de la nécessité d’une lutte armée. Et leurs auteurs tentaient
d’appuyer de vive voix leurs arguments écrits. Khomeiny les laissait dire, puis
intervenait : « Non, vous ne pouvez pas affronter l’armée : on ne peut vaincre
les armes qu’avec des armes. La seule manière de battre l’armée est de la
désarmer. » Et d’expliquer que ce qui enchaînait les forces armées au Shah- leur
serment de loyauté, leur habitude d’obéissance- devait être brisé.
C’était plus facile à dire qu’à faire. Du corps des officiers, le Shah avait
fait une classe d’élite, nombreuse, bien payée, jouissant de privilèges et qui
lui devait tout. Dans les autres grades, les hommes servaient généralement loin
de leur région d’origine- les Azerbaïdjanais, par exemple, à Téhéran, les
Téhéranais en Azerbaïdjan, et ainsi de suite. Cela signifiait qu’il y avait peu
de points communs entre la troupe et les civils qui les entouraient, lesquels
pouvaient appartenir à une autre ethnie et ne pas parler la même langue. Des
secteurs clef de l’armée étaient tenus par des membres de groupes minoritaires,
peu susceptibles de répondre aux appels de l’ayatollah. C’est pourquoi, des le
début de 1977, un nombre croissant d’isilamiyahs de Khomeiny s’adressèrent aux
forces armées. Le message était simple : elles devaient cesser de servir le Shah
; le Shah était le diable, le taghuti (tyran) incarné. Elles étaient les
mustazafin, les soldats de Dieu. Elles ne devaient pas tirer sur leurs frères
musulmans, parce que chaque balle dans la poitrine d’un musulman était une balle
qui frappait le Coran. Elles devaient rentrer dans leurs villages, dans leurs
familles, elles devaient retourner à la mosquée et à Dieu.
La Chute du Shah
(…) Un jour, le téléphone sonna à Genève au bureau du prince Sadrouddin Aga
Khan, haut commissaire aux réfugiés des NationsUnie. Son secrétaire décrocha
puis l’informa que quelqu’un qui s’était présenté comme la reine Farah le
demandait ; l’appel venait de loin. Un peu incrédule, le prince Sadrouddin
saisit le combiné, et reconnut la voix. « Je suis désolée de vous déranger, dit
l’impératrice, mais nous avons des problèmes à propos de passeports. Les
bureaucrates de Mexico exigent que nous produisions un document qu’ils puissent
viser. Pouvez-vous nous aider ? » Elle lui dit que la princesse Ashraf était en
contact avec Kurt Waldheim à New York pour résoudre ce problème, et qu’elle
espérait qu’il serait possible d’obtenir des passeports des Nations Unies ou des
réfugiés pour eux tous. La roue de la fortune avait fait un tour complet ;
l’Impératrice d’Iran en était réduite à mendier pour qu’on leur accorde, à elle
et au Shahnishah, le statut de réfugiés…
Pendant ce temps, en Iran la situation intérieure, depuis le départ du Shah,
était devenu encore plus confuse. Ni le général Huyser ni les généraux iraniens
soutenant le gouvernement Bakhtiar ne savaient quoi faire. Le seul moyen qu’ils
trouvèrent pour empêcher l’ayatollah de mettre à exécution sa menace de rentrer
à Téhéran fut d’ordonner la fermeture de tous les aéroports. Ce qu’ils firent le
25 janvier.
Les assistants de Khomeiny rencontrèrent des difficultés compréhensibles pour
trouver un avion qui le ramènerait en Iran. Mais finalement quelques riches
hommes d’affaires chiites déposèrent une somme de 3 millions de dollars pour
affréter un jumbo-jet d’Air France et payer les importants frais d’assurance
destinés à couvrir l’avion et son équipage, composé uniquement d’hommes. Comme
les aéroports devaient être rouverts le 30 janvier, (une fermeture prolongée eût
paralysé la vie économique du pays), le retour de l’imam fut fixé au 1er février.
Le 26 et le 28 janvier il y eut à Téhéran et à Tabriz de graves émeutes qui
firent plus de cent morts. La veille du jour où Khomeiny devait rentrer, les
chefs des forces armées organisèrent à travers toute la capitale
d’impressionnantes démonstrations de force auxquelles participèrent des unités
blindées et de l’armée de l’air. Mais dans une base proche de la capitale, des
unités se mutinèrent et il fallut envoyer les gardes royaux pour reprendre le
contrôle de la situation. Dans les rues, des foules des gens offraient de fleurs
aux soldats. A n’en pas douter, la quasi-totalité de la population des grandes
villes était prête à accepter le martyre, et même à l’accueillir avec joie (le «
complexe de Kerbala »), et c’est ce qui devait assurer le triomphe de la
Révolution.
Le 1ier février, Khomeiny embarqua dans le jumbo-jet d’Air France, et se rendit
immédiatement à l’étage supérieur. Là, il se livra à ses ablutions rituelles (wudu’),
récita les prières pour ceux qui allaient affronter la mort, mangea un peu de
yoghourt, étendit son doshak sur le sol et s’endormit. Son entourage (il avait
interdit à sa femme et aux épouses de ses partisans de faire le voyage), et tout
une armada de journalistes, une centaine de personnes au total, occupaient le
reste de l’avion. Tout le monde était extrêmement nerveux. « Vont-ils nous tirer
dessus ? », s’inquiétait l’équipage. Personne n’aurait pu répondre. Seul au
premier étage, l’ayatollah dormit jusqu’à cinq heures. Puis il se livra de
nouveau au wudu’, récita les prières de ceux qui attendent la mort, et reprit
encore un peu de yoghourt. Alors que l’avion approchait de Téhéran, Yazdi qui,
comme les autres exilés, n’avait pu fermer l’œil de la nuit, alla voir Khomeiny.
Il attira l’attention de celui-ci sur le spectacle qu’il pouvait apercevoir par
le hublot : celui de la ville qu’il n’avait pas vue depuis presque quatorze ans.
Cette arrivée fut l’occasion d’une fête religieuse déchaînée, probablement sans
équivalent dans l’histoire contemporaine. Si l’imam Caché était apparu en
personne après onze siècles d’absence, la ferveur populaire aurait difficilement
pu être plus grande. Les gens hurlaient : « L’âme de Hussein revient ! », « On a
rouvert les portes du Paradis ! », « Voici venue l’heure de notre martyre ! » et
autre cris d’extase. L’ayatollah Chariat Madari, pour sa part, fit remarquer
sardoniquement que personne n’aurait jamais pensé que l’imam Caché reviendrait
en jumbo-jet. Quand on lui rapporta cette plaisanterie, Khomeiny ne le trouva
pas drôle. Voyant l’agitation qui régnait dans toute la capitale, le
gouvernement et l’armée annoncèrent qu’ils dégageaient leur responsabilité et
qu’ils ne pouvaient assurer la sécurité des l’ayatollah. Ils pensaient peut-être
que, pressé par la foule de plusieurs milliers de personnes, un frêle vieillard
de quatre-vingts ans avait peu de chance de survivre et que ce ne serait
peut-être pas une mauvaise solution ; il valait mieux qu’il meure étouffé par
l’amour de ses partisans que tué par les tanks de l’armée. Mais les « Komitays »
locaux prirent les choses en main et assurèrent le service d’ordre autour de
Khomeiny, tandis que la population faisait preuve d’une surprenante discipline.
Malgré cela, les rues étaient tellement bondées qu’il n’était pas question d’y
frayer un chemin à Khomeiny ; aussi fut-il décidé qu’il continuerait son voyage
par hélicoptère. Malgré la mutinerie qui avait éclaté à la base aérienne, on
trouva un hélicoptère et un équipage, et Khomeiny, survolant ses partisans qui
l’acclamaient, gagnant l’école Husseiniyeh où il devait résider.
Hormis celle qui émanait de Khomeiny, toute autorité s’était évanouie, Bakhtiar
n’avait pas encore démissionné, mais Khomeiny l’ignora et nomma Bazargan Premier
ministre. Le général Gharabaghi prévint le général Huyser que des unités de
l’armée se joignaient aux manifestants. De Washington, Brzezinski donna le
signal du coup d’Etat militaire ; mais il était trop tard, il n’y avait plus
d’armée pour l’accomplir. Aussi après avoir pris contact avec Washington, le
général Huyser décida qu’il ne lui restait plus qu’à disparaître. Ce qu’il fit,
laissant ses collègues iraniens se débrouiller comme ils pouvaient. Mais ils ne
pouvaient pas faire grand-chose. Comme ils le dirent à Gharabaghi, ils n’étaient
plus que des généraux sans armée. Dernier recours Bakhtiar décréta le couvre-feu.
Dès qu’il l’apprit, Khomeiny se saisit d’une feuille de papier sur laquelle il
inscrivit : « Avec l’aide de Dieu, défiez le couvre feu ! » Le papier, porté à
la station de télévision avant qu’elle ne soit occupée par quelques restes de
l’armée, put ainsi être diffusé sur les écrans. Les gens sortirent en foule dans
les rues. La Révolution islamique finit par s’imposer le lendemain. Le général
Gharabaghi téléphona à Bazargan pour lui demander de lui envoyer un représentant
à qui il pourrait remettre le commandement de l’armée. Mais l’armée et le
gouvernement n’étaient plus que de fantôme.
La plupart des officiers subalternes avaient changé de camp et rejoint la
révolution. Seuls les officiers de haut rang, à partir du grade de colonel,
restaient fidèles, et nombre d’entre eux furent rapidement exécutés ou
choisirent le suicide. Le général Badri commandant de la garde royale fut abattu
par un de ses officiers. Le commandant de la marine, le général Kamal
Habiboullah, disparut ; il vit peut-être quelque part à l’étranger. Le général
Amir Hussein Rabii, chef de forces aériennes, fut traduit en justice et fusillé.
Le général Amir Rahimi, gouverneur militaire de Téhéran, subit le même sort.
Contrairement à certains autres officiers supérieurs (le général Nassiri, par
exemple, qui était prêt à avouer tout ce qu’on lui demandait et à impliquer
n’importe qui pour sauver sa peau), Rahimi mourut courageusement, criant « vive
le Shah » face au peloton d’exécution. Le général Ali Rashabi, commandant de la
Garde royale, demanda au général Gharabaghi s’il pouvait lui emprunter son
command car, et s’enfuit au volant de celui-ci pour se retrouver au milieu d’une
foule de manifestants menaçant. Rashabi se tua alors avec son arme de service.
Le général Mohammad Ali Hatimi, directeur de l’aviation civile (poste
extrêmement important dans un pays où la plupart des communications devaient se
faire par air ; la compagnie intérieure possédait 32 jumbo-jets), se suicida. Le
long duel entre la religion et l’empire, entre l’imam et le Shah, était fini.
Source : http://unicoculture.e-monsite.com/ / Par Mohammad HEIKAL