Un penchant obscur et perverti
L’homme est constamment en mouvement dans ce monde en tumulte, plein d’embûches
et d’épreuves, s’imposant peines et difficultés, et nourrissant l’espoir de
cueillir, une à une dans cette vie agitée, les fleurs prometteuses d’un avenir
radieux.
Tant que la mort n’aura pas rompu ses liens avec ce monde, et tant qu’il gardera
en lui une lueur d’espoir, l’homme courra sans relâche après le bonheur. En un
mot c’est l’espérance qui exalte la vie, et adoucit l’amertume.
Les uns courent après la richesse et les biens matériels, et s’y dépensent sans
nulle paresse, d’autres recherchent la célébrité et la grandeur. Les
préoccupations des hommes dépendent de leurs besoins corporels, et de leur
accomplissement spirituel.
Les aspirations diffèrent en fonction du niveau de compréhension. Mais il faut
noter qu’elles n’engendrent le bonheur que si elles sont compatibles avec nos
besoins spirituels et, aidant à notre promotion intellectuelle, éclairant les
voies, nous sauvant des ténèbres de la misère et de l’infortune.
Il arrive qu'un instinct, comme l’ambition ou la cupidité, échappe au contrôle,
et mette l’âme sur la voie de la perdition. Parmi ces aberrations de l’instinct,
l’envie se présente comme une passion excessivement déviée, emprisonnant la
conscience et empêchant l’homme de parvenir à ses justes fins.
Le malveillant ne supporte pas de voir quelqu’un dans le bien-être. Voyant les
autres jouir de toutes les faveurs, il ressent continuellement le poids d’un
malaise.
On dit que Socrate aimait à répéter que l’envieux dépérit et maigrit rien que de
voir l’embonpoint des autres.
Le jaloux passe son temps à se torturer l’âme de remords et à attiser en soi la
flamme de l’inimitié.
Il souhaite malheur et infortune à tout le genre humain et recourt à la ruse et
à la tromperie pour le frustrer de son bonheur.
Un grand écrivain a dit:
«Comme une ville sans forteresse ni muraille protectrice, nos âmes courent le
danger de tomber aux mains de brigands qui en troubleraient la sérénité. Le
moindre vent peut alors démonter la mer de nos émotions et donner l’occasion à
plus d’une passion ennemie de s’incruster dans notre âme et d’y imposer sa loi
jusqu’au dernier souffle. Tout malade même ignorant sait qu’il doit consulter un
médecin traitant, mais le malheureux atteint du mal de l’envie doit brûler,
souffrir et se taire.»
L’envieux nourrit toujours le projet illusoire de faire disparaître les faveurs
auxquelles il n’accède pas lui-même, et use pour cela de tout prétexte et
stratagème. Dans ses actes, il obéit aveuglément et sans retenue à ses plus vils
penchants.
Sa laideur se révèle au grand jour quand il se met à calomnier ouvertement les
personnes qu’il envie. Et quand sa passion n’est pas calmée et qu’il constate
que son vœu est contrarié, il n’est pas exclu qu’il puisse attenter même à la
liberté de ces personnes, voire à leur vie qu’il détruirait pour satisfaire sa
passion déchainée.
Oui, tel est son penchant. Mais s’agit-il là d’un instinct réellement humain?
Est-il compatible avec l’objectif authentique de l’homme?
L’envieux ne se situe pas seulement hors du cadre de l’humanité; il tombe même
en-deçà de l’animalité. Car celui qui ne partage pas les douleurs des autres
manques à un critère de l’humanité. Que dire alors de celui qui se réjouit du
spectacle de la misère des autres.
L’envieux brûle du feu de la frustration et de l’échec.
Parmi les plus importants facteurs contribuant au progrès et au succès, figure
l’art de se faire aimer. Quiconque peut régner sur les cœurs par sa
bienveillance et ses qualités élevées pourra jouir de leur aide et gardera en
main les atouts nécessaires pour une réussite permanente.
Les gens de bien sont comme une lumière pour la société. Ils en sont les
pionniers, et leur noble nature influe profondément sur sa formation morale.
Quant à l’envie elle est par sa face hideuse aux antipodes des belles qualités
et des grandes vertus qu’elle voue à l’anéantissement; et elle fait écran entre
les individus. Elle ne permet à personne de se faire une place respectable dans
le cœur des gens et empêche l’astre de l’amitié de briller. Par conséquent,
l’envie sape le sentiment de solidarité et de l’entraide.
En manifestant son vil caractère par la parole ou par l’acte, l’envieux se
trahit et s’attire la réprobation et la haine de tous. L’angoisse lisible sur
son visage et la tristesse profonde qui couve dans son cœur, exercent une
contrainte sur son âme brûlant sans répit. Il est évident que le jaloux en proie
aux tourments, n’aura jamais un instant de repos, car contrairement à son désir,
les faveurs célestes s’avèrent illimitées, et de ce fait son cœur est rongé par
le ressentiment. La jalousie est comme une tempête déchaînée qui déracine
l’arbre de la vertu, et balaie tout scrupule retenant l’accomplissement d’un
crime.
Quand Caïn vit que le sacrifice d’Abel était accepté tandis qu’on avait refusé
le sien, il fut pris d’une telle jalousie qu’il décida de tuer son frère. Il
l’assassina donc traitreusement. L’envie avait enserré son cœur, et tué en lui
le sentiment de la fraternité et de l’humanité.
Caïn asséna un coup de pierre sur la tête d’Abel et fut couler son sang sacré,
pour la seule raison qu’il fut pur. Le monde jusque là calme, fut témoin de la
première victime de l’envie dans le premier homicide causé par un fils d’Adam.
Sa haine assouvie, Caïn fut pris d’un remords, mais en vain, car il en souffrit
jusqu’à son dernier jour dans sa conscience.
Si Caïn avait perçu avec justesse la réalité des choses, il aurait su pour quoi
son sacrifice n’avait pas reçu l’agrément divin.
Schopenhauer, le savant allemand a dit:
«L’envie est le plus dangereux des sentiments humains. Il faut donc voir en
lui l’ennemi le plus irréductible sur la voie du bonheur, et s’efforcer de le
repousser et de le rejeter.»
Quand elle fait irruption, des querelles de toutes sortes apparaissent.
Chacun devient un obstacle au bonheur et à la perfection de l’autre; au lieu de
se compléter mutuellement, et d’améliorer ensemble leur situation.
La malveillance réciproque régissant les rapports rendra vaine toute tentative
de réforme, et minera l’esprit de discipline, de calme et de sécurité, et
conduira les gens à la décadence totale.
Comme disait Alexis Carrel:
«C’est l’envie qui est responsable de notre stérilité. Car c’est elle qui
empêche les fruits des progrès des peuples civilisés de parvenir aux peuples
arriérés.
Pour la même raison, tous ceux qui ont les potentialités pour guider un jour
leurs peuples sont éliminés.»
La plupart des crimes qui sont accomplis aujourd’hui aux différents niveaux de
la société et qui s’accompagnent de toute sorte de violence procèdent de
l’envie.
Cela peut se constater par un examen approfondi de chaque cas.
La religion blâme l’envie:
Dieu dit dans le Coran:
«Ne convoitez pas ce en quoi Dieu a
donné aux uns d’entre vous, excellence sur les autres.»92
L’homme même enclin par nature à l’amour de soi ne doit cependant obéir à son
instinct que dans les limites fixées par la loi, le bon sens, et les intérêts de
la société.
Nul n’a le droit d’agresser une personne ayant fait l’objet d’une faveur
céleste; et de la lui enlever pour satisfaire son envie. Pour parvenir à ses
aspirations l’on devra plutôt suivre une voie juste et rationnelle. Il faut agir
pour cela comme Dieu nous le recommande:
«...Et qu’en vérité, l’homme n’a rien
que ce à quoi il s’efforce,...»93
Et à demander Ses grâces infinies, à nous faciliter les choses, et à nous
rapprocher de nos buts et espérances.
Si l’envieux qui dépense en vain son énergie, la consacrait à la concrétisation
des objectifs purs, confiant dans l'effusion de la grâce divine et prenant à
bras-le-corps ses devoirs et responsabilités, il verrait certainement le
bonheur.
Plusieurs traditions ont été rapportées des Saints Imams- que la paix soit sur
eux- qui nous mettent en garde contre les conséquences ultimes de ce défaut
blâmable, et nous en préservent.
Bornons-nous ici à en citer quelques-unes:
L’Imam Al-Sâdiq -que la paix soit sur lui- fait allusion à un point de
psychologie:
«L’envie a son origine dans l’aveuglément du cœur et la négation de la grâce
divine qui sont les deux ailes de l’incroyance. C’est à cause de l’envie que les
hommes tombent dans le remords éternel, et s’engouffrent dans l’abîme.»
Et le docteur Mann écrit dans son ouvrage: «Les principes de la
psychologie.».
La réponse de certains à l’opposition de leur moi consiste en ce qu’ils nient
l’existence même de cette opposition. Nous disons à leur sujet qu’ils ont
réprimé leur penchant. L’enfant qui n’admet pas l’existence de son petit frère,
essaie de refouler les pensées qui peuvent le rendre jaloux.
La répression, pour mieux l’expliquer, est le fait de nier la réalité et de ne
pas voir ce qui est.
Ce que nous réprimons et que nous repoussons de notre conscience est, en
général, ce qui nous gêne ou nous est douloureux.
La mauvaise éducation au foyer, est un des facteurs favorisant l’intrusion de
l’envie. Si les parents montrent plus d’affection pour l'un de leurs enfants, et
l’entourent de caresses et de tendresse, au dépens des autres, ils feront naitre
chez ces derniers, un sentiment d’infériorité et de révolte.
C’est là que souvent prend racine la jalousie de la plupart des gens, causant
leur échec et leur malheur.
Il en est de même dans la société, quand les fondements de la justice reposent
sur autre que l’équité et l’impartialité, c’est-à dire sur l’injustice,
l’oppression, la discrimination raciale, tribale ou nationale, etc...
Quand l’injustice règne dans tous les domaines, elle fait planer une atmosphère
de rébellion et de sédition embrasant le ressentiment et l’envie.
Le Prophète de l’Islam blâme l’iniquité à l’égard des enfants, et
interdit d’entacher leur esprit délicat avec les graines de la jalousie:
«Donnez une part égale à vos enfants!»
Ce principe pédagogique est confirmé par les théoriciens occidentaux.
Bertrand Russel, auteur d’un ouvrage sur l’éducation, montre comment un
écart à ce principe peut bouleverser la vie morale d’un enfant qui aurait pu
grandir dans la bonté et l’innocence:
Lucie qui se fait une bonne opinion d’elle même, se voit reprocher un jour par
sa mère de dissimuler de mauvaises intentions dans son cœur, malgré son
apparence avenante. C’est pourquoi un carnet lui est donné pour qu'elle y note
toutes les méchancetés qu’elle essaie de dissiper sous une attitude correcte...
Une fois, ses parents offrent des choses à sa sœur et à son frère, mais omettent
de lui en donner à elle. Lucie confie à son carnet qu’à cet instant-même elle a
éprouvé un très mauvais sentiment en croyant que ses parents ne la chérissent
pas autant que leurs deux autres enfants.
Après cet évènement ses parents mettent en œuvre une série de mesures au terme
desquelles, elle acquiert la conviction qu’il faut résister à ses mauvaises
pensées, et à les vaincre au moyen d’une meilleure conduite.